International Journal of Social Sciences and Scientific Studies (2022)
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Le Principe De La Domanialisation Du Sol Et Du Sous-Sol Congolais Face Au Droit De Jouissance Fonciere Des Communautes Locales
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LE PRINCIPE DE LA DOMANIALISATION DU SOL ET DU SOUS-SOL CONGOLAIS FACE AU DROIT DE JOUISSANCE FONCIERE DES COMMUNAUTES LOCALES☆
SHABANI AMSINI Jules, KAMBUYI KAMBUYI Ben et ILUNGA KADIONGO Sylvie , a*
a.Assistants à l’Université de Lubumbashi.
Received 17 August 2022; Accepted 24 August 2022
Available online 25 August 2022
2787-0146/© .
A priori, l’existence d’un Etat est encadrée par deux catégories d’éléments indispensables : les éléments de fonds et ceux de formes. Parmi les éléments de fonds, nous pouvons citer : le territoire, lequel est non seulement constitué de l’espace terrestre et souterrain, mais aussi de celui aérien et maritime. Au niveau de l’espace terrestre, ici dans notre réflexion, nous faisons allusion au sol et au sous-sol.
En effet, les rapports entre l’homme et la terre ont été toujours au centre de la réflexion des Etats ; en ce que le sol est un élément de souveraineté indispensable.
En outre, en République Démocratique du Congo, nous avons connu plusieurs lois régissant les rapports entre l’homme et le sol ou l’Etat et le sol ; rapports qu’on appelle « fonciers ». Pendant la période qui précède l’accession des congolais au droit d’exercice de la souveraineté, un individu pouvait se faire librement « propriétaire » du sol.
Mais tout est parti de la loi nommée « Bakajika » de 1966 complétée et renforcée par la loi du 20 Juillet 1973 telle que modifiée et complétée par la loi n°80/008 du 18 juillet 1980 portant le régime général des biens ; Où le sol et le sous-sol sont devenus la propriété exclusive de l’Etat. A partir de ce moment, l’Etat pouvait concéder le droit de jouissance du sol à des particuliers et même aux communautés locales, lesquelles n’avaient à notre point de vue, la même conception de la propriété du sol. Revenant à la loi foncière, celle-ci dispose à son article 53 que « le sol est la propriété inaliénable et imprescriptible de l’Etat[1] ».
En effet, cette disposition pose le principe de la domanialisation de toutes les terres de la République Démocratique du Congo. Certes toutes les terres sont domanialisées, avec pour conséquence que toute appropriation privative du sol est abolie. Mais la loi reconnaît aux communautés locales un droit foncier de jouissance sur les terres qu’elles occupent, et ce, à son article 388 ; et l’article 389 renchérit en disposant que « les terres occupées par les communautés locales sont celles sur lesquelles ces communautés habitent, cultivent ou exploitent d’une manière quelconque conformément à la coutume ».
Pour les deux premiers types de terres, il n’y a pas des difficultés quant à leurs localisations matérielles ou physiques, mais pour les terres exploitées de manière quelconque, la loi nous renvoie à la coutume. C’est donc la coutume qu’il faudra interroger pour rattacher une terre à une communauté quelconque. Considérant cela, c’est la loi elle-même qui nous embarque dans les problèmes étant donné que la conception coutumière du foncier n’est pas la même que celle qui ressort de la loi.
On peut d’ailleurs souligner que la question des limites des terres n’offrait pas beaucoup d’intérêts pour les communautés locales traditionnelles qui souvent situent la limite à l’horizon.
En effet, cette façon de voir les choses n’existe pas sans poser les problèmes. C’est ainsi que les problèmes peuvent surgir entre les nationaux dans le pays ou encore avec les voisins et mettre en insécurité la survie de la population.
C’est le cas de la République Démocratique du Congo avec les voisins jaloux et véreux de sa terre et ses potentialités minières et il en est de même de deux clans congolais ou deux tribus qui peuvent s’entretuer pour une portion de terre qui les divise (cas des populations du Sud-Kivu au sujet du territoire de MINEMBWE)[2].
Ils provoquent ainsi une angoisse substantielle d’autant plus compréhensible qu’un regard rétrospectif sur l’histoire du pays qui permet de constater non seulement une menace permanente mais aussi une présence étrangère sur son sol et son sous-sol à cause d’une part des potentialités fabuleuses dont ils regorgent sa position géographique au cœur de l’Afrique d’autre part.
En plus, la question du sol et du sous-sol est également à la base de la crise de nationalité des Banyamulenge catalyseurs des conflits à répétition qui ont secoué la République Démocratique du Congo entre 1996 et 2003 ainsi que ceux qui ont opposé les HEMA et les LENDU dans l’ITURI.
Par ailleurs, comme elle explique dans une large mesure l’agression dont le pays a été victime de la part des Etats limitrophes et l’émergence de la résistance MAI-MAI.
Néanmoins, nous devons noter que le problème du sol et du sous-sol Congolais date de la colonisation, il suffit de se rappeler que Léopold II a fondé l’Etat Indépendant du Congo en vertu des traités.
Plus tard, les premières mesures législatives que les « les propriétaires » de l’Etat Indépendant du Congo furent amenés à prendre relèvent, sans doute des droits fonciers. Elles ont abouti à une dépossession des autochtones qui n’avaient d’égal que l’hypertrophie du domaine de la couronne et des exécutions dont la dernière a été le théâtre des conflits à l’Etat Indépendant du Congo ; l’Etat Congolais s’est trouvé privé d’une grande partie de la jouissance sur son sol et son sous-sol occupé par les colons[3].
Pour remédier à cette situation, depuis 1971 nombreuses de constitutions qui se sont succédé dans ce pays ont consacré la propriété exclusive de l’Etat Congolais sur son sol et son sous-sol. Cette disposition venait d’être renchérie par l’article 53 de la loi foncière, loi N°73/021 du 20 Juillet 1973 telle que modifiée et complétée par la loi N°80/008 du 18 Juillet 1980 portant régime général des biens.
Comme on peut le constater, la domanialisation du sol et du sous-sol n’existe pas sans poser des problèmes quant à la compréhension et à l’application par les communautés locales et surtout les autochtones. Etant donné que le droit foncier est un droit lié au sol et sous-sol. Dans la perspective de notre réflexion, il s’agit d’un droit de jouissance foncier des communautés locales. Celle-ci n’existe pas sans poser un nombre de problèmes juridiques formulés en une série des questions telles que :
- Comment l’Etat considère-t-il la domanialisation du sol et du sous-sol ?
- Pourquoi est-ce-que l’Etat congolais a procédé à la domanialisation du sol et du sous-sol ?
- Quand entendons-nous par droit de jouissance des autochtones sur les terres domanialisées ?
Telles sont les questions autour desquelles va se développer notre réflexion.
D’emblée, nous postulons que :
- Depuis la colonisation, le législateur congolais a exproprié la population ou les personnes ; tout en réservant à ces dernières que le droit de jouissance, c’est-à -dire l’Etat est le propriétaire exclusif du sol et du sous-sol, à ce jour, le législateur congolais consacre à l’Etat le droit d’exercer sa souveraineté permanente sur le sol et le sous-sol pour ne citer que cela.
- Lors de l’indépendance, l’Etat congolais s’est trouvé privé de la gestion d’une grande partie du sol et du sous-sol du fait que beaucoup de colons qui occupaient des terres se comportaient comme étant leurs propriétaires. C’est ainsi que pour remédier à ce problème, l’Etat a procédé à la domanialisation du sol et du sous-sol par la loi Bakajika.
- Seul l’Etat est propriétaire des terres mais les communautés locales ne disposent que des droits d’habiter, de cultiver ou d’exploiter d’une manière quelconque ces terres conformément à la coutume.
- LECTURE DU PRINCIPE DE LA DOMANIALISATION DU SOL ET DU SOUS-SOL PAR L’ETAT CONGOLAIS
I.1. Evolution constitutionnelle et législative du principe et siège légal.
Le régime foncier en droit congolais a son histoire, son importance[4] et il a connu une certaine évolution[5], celle-ci a culminé avec la loi « Bakajika » qui a consacré la propriété foncière de l’Etat en excluant toute appropriation privée du sol et du sous-sol congolais. C’est autour de ce principe clé que le droit foncier congolais est bâti. Car, avec comme conséquence que, désormais, les droits que peuvent détenir les particuliers sur le sol et le sous-sol sont des simples droits de jouissance appelés « concession » perpétuelle ou ordinaire.
Sauf en ce qui concerne la constitution du 18 Février 2006 telle que modifiée et complétée à ces jours qui dispose en son article 9 alinéa 1 que « l’Etat exerce une souveraineté permanente notamment sur le sol, le sous-sol, les eaux et les forêts, sur les espaces aérien, fluvial, lacustre et maritime congolais, ainsi que sur la mer territoriale et sur le plateau continentale ». En effet, toutes les autres constitutions depuis celle de Luluabourg en 1964 n’ont jamais cessé de confirmer de façon claire et sans équivoque, le principe que le sol et le sous-sol est la propriété de l’Etat[6].
Par ailleurs, le Droit congolais a opté pour le système d’immatriculation et de la publicité foncière héritée de l’acte de torrens : en effet, la propriété immobilière n’existe et n’est transmissible légalement que par l’Etablissement d’un certificat d’enregistrement constatant ce droit. Tout autre mode de création ou de transmission des droits réels immobiliers et inopérant à constater l’exercice de ces droits[7].
BASE LEGALE
En Août 1964 est adoptée par voie référendaire, la constitution de Luluabourg ; l’on n’y trouve qu’une seule disposition importante en matière foncière à son article 43[8].
En effet, la dite constitution reprend les droits de propriété parmi les droits fondamentaux qui sont garantis contre les expropriations abusives : « Les droits de propriétés disposent à l’article 43 alinéa 1, qu’ils aient acquis en vertu du droit coutumier ou du droit écrit sont garantis conformément aux lois nationales dans son article 4, l’on trouve la disposition des trois alinéas précédents, une loi nationale réglera souverainement et le régime juridique des cessions et des concessions foncières faites avant le 30 Juin 1960.
Le mémoire explicatif de la constitution explique cette disposition en ces termes : « en ce qui concerne l’accession du Congo à l’indépendance, la commission a tenu à ce que leur régime soit réglé d’une manière souveraine par une loi fédérale.
Le droit des cessionnaires et des concessionnaires des terres qui ont fait l’objet de cession ou de concession avant le 30 Juin 1960 n’est donc pas garanti de manière directe par la constitution elle-même »[9].
Il semble qu’au cours de discussions relatives à cette disposition, le constituant avait sérieusement stigmatisé la politique foncière coloniale.
I.2. Caractéristiques de la propriété foncière de l’Etat.
Ceux-ci se trouvent dans l’énoncé même de l’article 53 de la loi. Cette affirmation a des implications sur le plan de Droit. C’est que la propriété de l’Etat sur le sol est un droit universel, exclusif, absolu, perpétuel, imprescriptible et inaliénable.
- La propriété foncière de l’Etat en tant que droit universel.
Portée et justification
Le caractère universel de la propriété de l’Etat » ne résulte pas de l’article 53 de la loi. Toutefois, dans l’évolution du droit foncier congolais, l’on note l’existence de plusieurs catégories des terres : vacantes, domaniales, indigènes, concédées, etc. ; désormais, toutes les terres, jadis catégorisées et différenciées, sont la propriété de l’Etat congolais seul. Dans cette mesure, aucune portion de terre n’échappe à cette propriété, d’où le caractère « universel » de ce droit de propriété [10]».
- La propriété foncière de l’Etat en tant que droit exclusif
Cette caractéristique résulte de la loi foncière, elle tend à signifier qu’il n’existe plus d’appropriation privée et individuelle du sol congolais. Et l’Etat ne peut pas partager ce droit avec une autre personne. Il s’agit d’un droit exclusif et sans partage, qui ne peut pas tomber dans la copropriété. Et même les entités territoriales, politico-administratives décentralisées, bien que dotées de la personnalité juridique et émanant de l’Etat ; elles ne s’identifient pas pour autant à l’Etat. Elles ne peuvent donc prétendre partager le même privilège d’être « propriétaire du sol[11]».
- La propriété foncière de l’Etat en tant que droit absolu
Sauf le droit de disposer, la propriété de l’Etat n’est pas différente de la propriété en général avec tous les attributs que la loi reconnait à celle-ci.
- La propriété foncière de l’Etat en tant que droit perpétuel
Cette caractéristique s’identifie avec l’objet qui est le sol et tant que le sol congolais durera, le droit de propriété durera sur le sol.
- La propriété foncière de l’Etat en tant que droit imprescriptible
Aucune personne ne peut acquérir une partie du sol par la prescription acquisitive, l’Etat ne peut perdre une partie de son sol par le biais d’une prescription extinctive. Cette imprescriptibilité est absolue et permanente.
- La propriété foncière de l’Etat en tant que droit inaliénable
Le sol est hors commerce, la volonté du législateur est que l’Etat reste titulaire des droits de propriété foncière exclusive mais ce droit n’a pas l’ensemble d’attributs reconnus traditionnellement à la propriété, à savoir : le droit d’user, de jouir et de disposer.
Le fait d’avoir une propriété foncière déclarée inaliénable, l’Etat se voit octroyé un droit de propriété privée d’une de ses attributions la plus importante, car il est impossible de disposer le sol dans le sens de sa transmission en tant que propriété à un autre sujet de droit. Par son caractère inaliénable, le sol est retiré de la circulation, donation et hypothèque, mais l’Etat peut consentir le droit de jouissance moyennant un prix.
Cette façon de voir les choses, nous pousse à douter même du droit de propriété de l’Etat sur le sol et le sous-sol. Car, l’Etat cherche toujours à exercer son droit de propriété sur l’ensemble de terres au Congo. Il rencontre beaucoup de difficultés suite à la résistance passive de la population. En effet, depuis le 20 juillet 1973 jusqu’à nos jours, les chefs coutumiers ou mieux les chefs des terres exercent dans la pratique, des droits sur les terres comme s’ils en étaient toujours propriétaires.
Certes, les autorités étatiques, comme les foncières, le conservateur des titres immobiliers concluent les actes juridiques avec les particuliers en vue de la mise en valeur des terres et rien que les actes juridiques passés en respect strict de l’appartenance en pleine propriété des terrains de l’Etat. La réalité toute aussi béante est que le particulier détenteur et bénéficiaire des actes outre cela, sont amenés à négocier encore d’autres actes tels les contrats de vente des terres avec les chefs des communautés parentales africaines pour avoir la paix et exploiter avec quiétude le droit absolu.
C’est ainsi qu’il y a même des parties des terres au Congo où l’Etat, pour prendre possession, doit donner un montant au chef coutumier. C’est pourquoi, il nous revient de nous demander si vraiment le droit exercé par l’Etat sur le sol et sous-sol est celui de la propriété.
- LE DROIT DE JOUISSANCE DES COMMUNAUTES LOCALES
II.1. Droit acquis en vertu du droit coutumier : Evolution et situation actuelle
Depuis toujours ; les communautés locales : tribus, clans, familles, villages, collines, etc., occupent des terres pour diverses fins.
Bien que les terres des communautés indigènes soient collectives, elles sont morcelées entre les membres de la communauté, grâce à des occupations individuelles ou familiales. La terre devient nécessairement l’objet des relations juridiques entre les membres de la communauté. Elles doivent être régies par les usages locaux[12].
Les différents régimes juridiques fonciers en droit congolais n’ont pas aboli ou supprimé ce type de droit de jouissance ou de propriété communautaire. Déjà , tant sous l’Etat indépendant du Congo que sous le Congo-Belge, ces terres ont été régies par un régime spécial, en ce qu’elles ont été régies par les usages locaux, quel que soit le statut juridique des membres de la communauté.
II.2. Nature juridique des droits des indigènes sur la terre : Droit de propriété ou d’usage
Les instructions du gouverneur général du 08 Septembre 1906[13] mentionnent que les droits des indigènes sur les terres n’ont pas le caractère d’une propriété, même collective, d’un usufruit ou d’une servitude. C’est plutôt un droit réel « sui generis » grevant la propriété au profit d’une ou plusieurs collectivités.
Il paraissait prématuré d’établir la nature de ces droits d’après la législation écrite. Sous l’empire de la législation coloniale, ces terres étaient soumises au régime d’occupation.
Il s’agit d’une nature spéciale, régis par les coutumes[14]. Ainsi, les droits de l’indigène seront tels que l’occupation permanente, et exclusive, il en résultera, pour les collectivités, éventuellement les individus, des droits similaires à la propriété, d’autant plus que le législateur colonial reconnaissait aux collectivités le droit de disposer des terres, corrigeant ainsi la coutume selon laquelle les terres seraient frappées d’inaliénabilité perpétuelle.
En outre, certains auteurs soutiennent que deux conditions d’acquisition de la propriété foncière étaient réunis à savoir l’occupation juridique du domaine et la volonté d’acquérir la propriété[15].
II.3. Considération actuelle des terres indigènes
Les droits coutumiers sur les terres des communautés locales ont été reconduits par la loi du 20 Juillet 1973, même si au terme de l’article 378, ces terres sont devenues des terres domaniales conformément aux prescrits de l’article 53 de la même loi. Elles y sont désignées comme les « terres des communautés locales ».
Les terres des communautés locales se trouvent dans plusieurs textes des lois notamment dans le code forestier[16], et naturellement, dans la loi foncière. Par ailleurs, dans la doctrine il est fait également état de terres des communautés traditionnelles ou indigènes.
En réalité, nous pensons que l’expression légalement consacrée est celle de terres des communautés locales ; l’accent est plutôt mis sur la localité et la destination des terres que sur la nature des communautés bénéficiaires.
Il a été ainsi jugé par la cour d’appel du Katanga qu’en vertu de l’article 386 de la loi foncière, une communauté traditionnelle ne peut revendiquer les droits que sur une terre qu’elle habite, cultive ou exploite d’une manière quelconque conformément à la coutume.
Faute de répondre à cette exigence, elle est sans titre pour revendiquer[17]. La définition des terres « exploitées » comprend toutes les terres dont les collectivités indigènes tirent une utilité à titre privatif, et si, des terres de chasse paraissent indispensables à l’alimentation de certaines collectivités, elles sont réputées comme appartenant aux dites collectivités.
Aux termes de l’article 1er et 17 du code forestier, une communauté locale est une population traditionnellement organisée sur base de la coutume et unie par les liens de solidarité clanique ou parentale qui fondent sa cohésion interne. Elle est caractérisée en outre par son attachement territorial déterminé.
II.4. Caractéristique des terres des communautés locales
Selon la doctrine et la jurisprudence, il existe deux critères principaux pour la reconnaissance du droit de jouissance individuelle sur le sol affecté à la communauté locale ou traditionnelle, à savoir, l’appartenance à la communauté locale et la superficie effectivement mise en valeur par l’habitation et par la culture[18].
- LA DOMANIALISATION DU SOL ET DU SOUS-SOL CONGOLAIS FACE AU DROIT DE JOUISSANCE FONCIERE DES COMMUNAUTES LOCALES
III.1. Droit moderne de la terre face au droit traditionnel
La confrontation entre Droit moderne et Droit traditionnel, mieux les coutumes autochtones, existe depuis la rencontre entre deux cultures : occidentale et Africaine. Le problème est devenu juridique et politique, le jour où les autochtones se sont rendu compte que la puissance coloniale avait dissocié l’établissement de sa souveraineté à une sorte d’appropriation du sol que les tribus s’étaient jadis partagées[19].
Ainsi, il est impérieux de souligner que le droit de concession foncière consentie par l’Etat : concession perpétuelle, emphytéose, superficie, usage, location, et occupation provisoire et prioritaire par rapport au droit de jouissance obtenu en vertu de la coutume et usages locaux. Cela ne résulte pas d’une quelconque supériorité de la règle de l’Etat face à la règle coutumière ou usage ; mais plutôt du principe de la domanialisation de toutes les terres et même coutumières.
Dès lors qu’on a adopté et accepté que toutes les terres appartiennent à l’Etat, même les terres actuellement occupées par les communautés locales, il faut aussi accepter que celui qui a obtenu une terre de la part de l’Etat est plus privilégié que celui qui occupe en vertu de la coutume ou d’usage locale ; d’autant plus que la terre n’appartient plus aux communautés locales mais plutôt à l’Etat. Toutefois, il ne faudra nullement penser que ce droit de jouissance n’est pas sécurisé face aux droits de concessions consentis par l’Etat.
III.2. Conséquences juridiques de l’appropriation du sol par l’Etat
L’incidence de l’appropriation du sol et du sous-sol par l’Etat Congolais doit être appréciée dans la situation de ceux qui avaient le 20 Juillet 1973, des droits de propriété foncière régis par les coutumes.
- DROIT TRANSITOIRE
La propriété de l’Etat sur le sol est exclusive. Or, il a existé des droits régulièrement acquis sur le même sol par certains particuliers. Sur le plan du droit, il y a problème. Les conséquences antérieurement à la loi du 20 Juillet 1973.
Il est ainsi important de voir le sort réservé à ceux des particuliers qui détenaient des droits fonciers et immobiliers sur le sol congolais avant le principe posé par l’article 53 de la loi. Parmi ces particuliers, l’on dénombre également ceux qui détenaient des droits en vertu du droit coutumier.
- DROITS FONCIERS ENREGISTRES AVANT LA LOI DU 20Â JUILLET 1973
Il a existé différentes sortes de terres et titres d’occupation avant la loi du 20 Juillet 1973. Il en est ainsi des terres indigènes, des terres des circonscriptions urbaines régies par le livret de logeur ou un titre administratif d’occupation. Dans la pratique, il se pose la question du droit applicable à la suite de la reforme décidée par les pouvoirs publics ; il s’agit là d’un conflit des lois en l’espèce un conflit des lois internes lequel est généralement réglé par les dispositions transitoires.
Ainsi, au terme des articles 369 et 385 de la loi ; pour autant qu’ils soient matérialisés par une mise en valeur conforme à la loi, s’ils appartiennent à des congolais personnes physiques, ces droits sont convertis en concessions perpétuelles. La loi oblige les détenteurs de ces titres à les convertir en concession perpétuelle ou ordinaire[20].
Au terme de l’article 390 de la même loi, le droit d’occupation constaté par le livret de longueur tient autres titres équivalents délivrés dans une ville ou une zone de la République est supprimé. C’est autant dire que les droits acquis régulièrement et antérieurement à la loi du 20 Juillet 1973 sont reconnus et reconduits, quitte à convertir les anciens titres ou pour les personnes concernées, à se voir octroyer des certificats d’enregistrement conformes à la nouvelle loi.
- DROIT FONCIER ACQUIS EN VERTU DU DROIT COUTUMIER
Il importe de souligner que la coutume est l’une des sources du droit positif congolais. La constitution du 18 Février 2006 en son article 153, la reconnait en tant que tel. La loi foncière en son article 388 en fait autant, le code forestier également en son article 36, alinéa 1. Il s’agit là sans doute d’une réponse explicite à la question de savoir si le droit coutumier connait la propriété.
La loi du 20 Juillet 1973 entend être conséquente avec elle-même, elle ne peut pas affirmer une chose et son contraire en même temps. Ainsi, s’agissant des droits fonciers coutumiers, aux termes de l’article387 de ladite loi, les terres occupées par les communautés locales deviennent à partir de l’entrée en vigueur de cette loi des terres domaniales. Ces terres sont celles qui sont occupées par lesdites communautés pour l’habitat, la culture ou toute autre exploitation, individuelle ou collective.
Tout conflit relatif à ces terres est porté devant les juridictions de droit écrit, à l’exclusion de celles coutumières sans pour autant exclure l’application des règles coutumières à ce conflit. En vertu de l’article 389 de la même loi, les terres occupées par les communautés locales sont régies par la coutume en attendant l’ordonnance qui devrait en réglementer les dispositions[21].
CONCLUSION
Notre réflexion a porté sur le principe de la domanialisation du sol et du sous-sol congolais face au droit de jouissance foncier des communautés locales.
Nous avons à partir de l’article 53 de la loi foncière analysée le principe de la domanialisation du sol et du sous-sol congolais. L’examen minutieux de cette disposition, nous a permis de reprendre en quelques mots les grandes lignes de notre réflexion. Il a été question pour nous de donner la raison légale qui a poussé le législateur à procéder à la domanialisation du sol et du sous-sol congolais par la loi du 20 Juillet 1973 nommée « la loi BAKAJIKA ».
Ensuite, confronter cette domanialisation du droit de jouissance des communautés locales, c’est ainsi que notre réflexion a été subdivisée en trois points :
Au premier point, il a été question pour nous de faire la lecture du principe de la domanialisation du sol et du sous-sol congolais par l’Etat ; son évolution constitutionnelle et législative du principe et siège légal.
Au deuxième point, nous avons eu l’occasion de parler sur le droit de jouissance des communautés locales.
Enfin au troisième point de notre réflexion, nous avons révélé la domanialisation du sol et du sous-sol congolais face au droit de jouissance foncier des communautés locales.
Après toute cette analyse, nous sommes arrivés à une conclusion selon laquelle des droits de jouissances constatés sur les terres occupées par les communautés locales devraient être réglés par une ordonnance présidentielle mais qui n’est jamais intervenue depuis la loi du 20 juillet 1973. Ces terres sont devenues des terres domaniales ; mais si cette ordonnance se fait toujours attendre, les conflits autour de ces terres n’en demandent pas mieux. Dans un cas pareil, pour résoudre ces conflits, en l’absence d’un texte de loi spécifique, le recours à la coutume devient donc la seule possibilité légale.
Nous indiquons ici que pour pallier à cette lacune, la cour suprême de Justice est intervenue pour décider judicieusement dans une affaire qu’en attendant ce texte, que ces terres soient régies par le droit coutumier local[22]. Et spécialement, que les conflits qui peuvent surgir à ce propos sont de la compétence des tribunaux de paix, siégeant au 1er degré en matière coutumière, en vertu de l’article 110 du code de l’organisation et compétence judiciaire.
Il en résulte donc qu’il y a une impossibilité de coexistence sur le sol congolais du droit de propriété foncière de l’Etat avec un autre quelconque droit de même nature qui appartient à une personne juridique ou une communauté.
De la loi foncière en étude, nous déduisons qu’elle avait voulue mettre sur pied un modèle juridique original et différent du système « propriétaire », malheureusement l’analyse en profondeur des dispositions consacrées par cette loi démontre à suffisance qu’elle ne rejette pas la propriété bourgeoise, elle la reconnait, mais à l’Etat seul. Cela, pour assurer la maitrise de l’ensemble des terres du territoire congolais. C’est pourquoi, le sol appartient à l’Etat, non pour en user, en jouir et exercer un pouvoir absolu comme propriétaire mais plutôt pour assurer l’existence, la stabilité, le fonctionnement et le développement de la Nation Congolaise.
BIBLIOGRAPHIE
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- Loi n°011/2002 du 29 Août 2002 portant code forestier.
- Arrêté n°90-0012 du 31 Mars 1990 Fixant les modalités de conversion des titres de concession perpétuelle ou ordinaires.
- JURISPRUDENCES
- C.S.J., RC 1032, 20 Janvier 1988, RJZ, 1988
- Cour d’appel du Katanga, ACA, 937, 959, 20 Février 1996
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☆ Le Principe De La Domanialisation Du Sol Et Du Sous-Sol Congolais Face Au Droit De Jouissance Fonciere Des Communautes Localess.
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- LUMPUNGU KALAMBAYI, G., Droit civil, Vol II, Régime foncier et immobilier, PUZ, Kinshasa, 1989. ↑
- Par exemple l’article 10 de la constitution (révisée) de 1978 « le sol et le sous-sol appartiennent à l’Etat, les conditions de leurs concessions sont fixées par la loi », J.O de la République du Zaïre, N°5, 1er Mars 1978. L’article 4 de la loi n°93-001 du 2 Avril 1993 pour acte constitutionnel harmonisé de transition. ↑
- Article 219 de la loi foncière. ↑
- KIFWABALA TAKILAZAYA, J., Droit civil : les biens, les droits réels fonciers, TT Paul, Lubumbashi, 2004. ↑
- La constitution de 1964. ↑
- KANGULUMBA MBAMBI, V., Précis de droit civil des biens, Tome 1, Théorie générale des biens et théorie spéciale des droits réels immobiliers congolais, 2007. ↑
- PALUKU MUTONO, « Réflexions sur l’article 136 de la loi foncière en RDC », In Congo-Afrique, n°161, Kinshasa, Janvier 1982, p. 33. ↑
- KANGULUMBA MBAMBI, V., Op.Cit., p. 369. ↑
- BULLETIN OFFICIEL, 1906, p. 378. ↑
- DUFRENOY PAUL, Le régime foncier au Congo-Belge et l’Acte de Torrens, Bruxelles, 1934, p. 61. ↑
- KEMEREE., « le droit foncier coutumier du Congo-Belge », In Bulletin des Juridictions indigènes, n°9, 1956, p.241. ↑
- Loi n°011/2002 du 29 Août 2002 portant code forestier, J.O, RDC, Kinshasa, 31 Août 2002. ↑
- Cour d’appel du Katanga, ACA, 937, 959, 20 Février 1996, Les AN.JUR., n°3, 2004, p.72. ↑
- T.G.I. BOMA, Bas Fleuve, RCA 215, 24 Mai 1995, BAJC, 1997, p. 81. ↑
- MALENGREAU, B., « Proposition pour une solution du problème foncier », In Zaïre, Revue Congolaise, Avril 1956, p. 387. ↑
- Arrêté n°90-0012 du 31 Mars 1990 Fixant les modalités de conversion des titres de concession perpétuelle ou ordinaires. ↑
- KANGULUMBA MBAMBI, V., « Quelques propos sur l’évolution des lois, cas de la loi foncière du 20 Juillet 1973 », In La loi du 20 juillet 1973. ↑
- C.S.J., RC 1032, 20 Janvier 1988, RJZ, 1988, p.7. ↑