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Le Développement Des Compétences Langagières Chez Les Enfants Jumeaux: Une Expérimentation Pratique

International Journal of Social Sciences and Scientific Studies (2022)

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Le Développement Des Compétences Langagières Chez Les Enfants Jumeaux: Une Expérimentation Pratique

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LE DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES LANGAGIÈRES CHEZ LES ENFANTS JUMEAUX: UNE EXPÉRIMENTATION PRATIQUE☆

Mohammed ALKHATIB a,*

a Université Al al-Bayt – Jordanie

Received 6 May 2022; Accepted 23 May 2022

Available online 5 June 2022

2787-0146/© .

A R T I C L E I N F O

Keywords:

NTwins

Language

Mother tongue

Comprehension

Expression

Pronunciation

Sentence constructionA B S T R A C T

The language of children is very impressive for those interested in linguistics, especially when it comes to twins living in the same social environment. In our case, having two twins (a boy and a girl) invited us, as a linguist and didactician, to observe their language development closely and analyse the difference in communicative competence during the first five years of their life. The results of comparison between the boy’s and girl’s language show that it is not only the social milieu that influences the language progress of the child, but there is also the attention that the child gives to his language and the importance that he attributes to linguistic communication which play a key role in the development of his linguistic skills: phonetic, semantic, syntactic or even pragmatic.

Introduction

Certains enfants sont doués pour les langues. On entend souvent dire Ma fille s’exprime mieux que son frère, Mon fils prononce mieux que sa sœur, etc. Il y a beaucoup de remarques qu’on a faites lors de l’observation du progrès langagier de nos enfants. Certaines sont explicables, d’autres ne le sont pas, mais il y a toujours une raison même si on ne la remarque pas.

Pour être méthodologique dans notre travail, nous avons décidé de faire une recherche sur le progrès langagier de nos deux jumeaux dès le premier jour de leur naissance : un fils (on lui a accordé le pseudonyme Medo) et une fille (on lui a accordé le pseudonyme Bono)

Étant tout près de Medo et Bono, nous avons pu noter presque toutes les remarques linguistiques sur le progrès de leur acquisition de la langue arabe. Il y a des différences dans l’expression et dans les comportements linguistiques avec un décalage frappant qu’on a remarqué pendant cinq ans de prise de notes entre Medo et Bono ; à savoir que le milieu social et les conditions linguistiques et extra-linguistiques jouent un rôle important dans la formulation du langage de l’enfant.

Le bain de langage, c’est la condition pour que les connexions s’établissent dans le cerveau dans les premières années de vie. Mais c’est aussi toute la richesse de ce que l’enfant entendra autour de lui ensuite. Il existe à ce niveau-là de grandes inégalités. Dans certains milieux on parle peu à l’enfant. (Loisy 2001 : 2)

Il est clair qu’un échantillon de deux enfants n’est jamais suffisant pour aborder un sujet sur la cognition linguistique, mais ce qui distingue notre recherche c’est le vrai vécu entre nous, le chercheur, et les enfants qui sont le sujet de la présente recherche. Donc, nous ne prétendons pas avoir des résultats exhaustifs, mais plutôt significatifs.

Comme l’appareil acoustique est plus actif que l’appareil phonatoire pendant les premiers mois de la naissance de l’enfant, nous allons tout d’abord parler de la compréhension et de la réaction linguistique et non-linguistique de Medo et Bono. Nous allons diviser les cinq ans en périodes de mois en faisant à chaque fois une comparaison entre la compréhension et la réaction de Medo et Bono.

En deuxième temps, nous allons passer à la production linguistique de Medo et Bono en insistant sur la prononciation, le bagage lexical, la syntaxe et l’invention des mots. Les cinq ans seront divisés également en périodes de mois pour faire à chaque fois la comparaison entre la production linguistique de Medo et Bono.

Dans la troisième partie, nous allons avancer une analyse et des remarques linguistiques portant sur le système phonétique chez ces deux jumeaux, l’emploi des mots isolés mais contextualisés et l’assemblage de mots pour faire des énoncés.

  1. Pourquoi des Jumeaux ?

La raison pour laquelle nous avons choisi de faire cette étude sur des jumeaux, c’est que nous-même, en premier temps, avons deux jumeaux (un garçon et une fille) et nous avons la possibilité d’observer de tout près leur progrès linguistique. La deuxième raison, nous voulons voir jusqu’à quel niveau on peut avoir une corrélation entre le développement du langage chez les jumeaux et chez les enfants normaux (singletons). Il convient de rappeler que nos deux jumeaux ne sont pas homozygotes, mais hétérozygotes. Ce qui veut dire qu’ils partagent presque 50% de leur ADN alors que les jumeaux identiques partagent 100% de leur ADN. Ce partage de l’ADN pourrait avoir des conséquences sur les capacités cognitives des jumeaux.

Identical twins share, at least at birth, 100% of their DNA, whereas fraternal twins (and other sibling) share about 50%. If identical twins share higher correlations in achievements test scores than fraternal twins or sibling, a degree of heritability is indicated for tested cognitive skills.[1] (Anderman E.M. & Anderman L. 2009 : 186)

En ce qui concerne les compétences cognitives héritées et partagés, Harlaar, Dale et Plomin, (2007) confirment dans une étude, sur un grand nombre de jumeaux, étalée sur plusieurs années, que lorsque la compétence de lecture est stable à l’école, cela signifie qu’il y aurait un partage de gènes entre ces jumeaux. Malgré tout cela, il faut signaler que toute compétence n’est pas forcément héritée ou partagée entre les jumeaux. L’environnement scolaire peut jouer aussi un rôle important dans l’enrichissement de différentes compétences chez les enfants :

[…] cognitive abilities are inherited, but this does not mean that enriching an educational environment cannot also make a significant difference for every child. That something is inherited does not mean it is unchangeable[2]. (Anderman E.M. & Anderman L. 2009 : 186)

L’une des raisons qui nous a poussé à travailler sur le langage des enfants et surtout les jumeaux, outre notre curiosité linguistique, ce sont les divers et rapides stades par lesquels passe le progrès linguistique chez l’enfant : commençant par les sens et les réflexes, passant par les cris et les babillages et finissant par les mots, les énoncés et les phrases. Autrement dit, la curiosité communicative de l’enfant provoque la curiosité de découverte linguistique chez nous.

A baby cannot think a loud as adults do, because he has no language. A newborn has only senses, reflexes, limited motor activity, and driving force of what might be called curiosity. Babies want to re-experience interesting and pleasant stimulations and gain control over them by repeating and varying certain actions[3]. (Anderman E.M. & Anderman L. 2009 : 186)

  1. L’enfant apprend ou acquiert sa langue maternelle

Avant de parler de nos remarques linguistiques sur la compréhension et la production linguistique de nos deux jumeaux, il nous semble important de mettre la lumière sur l’apprentissage et l’acquisition de la langue d’après les observations linguistiques de Medo et Bono.

Qui dit acquisition dit apprentissage, mais apprentissage ne veut pas dire forcément acquisition. Inconsciemment, tout nouveau-né commence dès le premier jour de sa naissance à enregistrer la ou les langue(s) qu’il entend dans son entourage linguistique. Cet enregistrement, qui se fait automatiquement, dans la partie réservée à la langue dans le cerveau du nouveau-né serait conditionné par plusieurs facteurs :

a) Richesse du milieu communicatif : combien de personnes s’adressent au bébé et discutent à son écoute. Autrement dit, la quantité des unités linguistiques et des énoncés auxquels l’enfant est exposé par jour. Spinath, Price, Dale et Plomin (2004) parlent des facteurs environnementaux qui peuvent influencer le développement langagier de l’enfant ; comme l’interaction entre les parents et les enfants, et entre les enfants eux-mêmes. Zazzo (1960) parle également de « l’effet du couple ». Il souligne que le couple gémellaire vit dans une sorte de micromilieu qui pourrait restreindre l’interaction avec le monde extérieur et par conséquent influence l’acquisition de la langue maternelle.

b) Niveau de langue de l’entourage linguistique du bébé : il écoute tel registre de la langue : soutenu, familier ; ou il vit dans un milieu linguistique unilingue, bilingue, hybride ; et il écoute une langue très ou peu correcte avec toutes ses composantes dont parle Plaza (2004) : la prosodie, la phonologie, le lexique et la pragmatique.

c) Débit, rythme et autres caractéristiques phonétiques entendus par l’enfant.

e) Niveau de l’éducation des parents et leur habilité à développer les compétences linguistiques de leur bébé, surtout leur comportement et réaction envers les erreurs du bébé.

f) L’usage précoce des appareils électroniques : téléphone, tablette, jeux électroniques, etc. et bien d’autres facteurs sociolinguistiques qui jouent un rôle primordial dans le niveau du langage de l’enfant ; à condition qu’il n’y ait pas e problème d’ouïe chez le bébé.

Les cinq premières années de la vie de l’enfant jouent un rôle important dans l’élaboration de son langage et cela est confirmé par Gaonac’h et Golder (1995). C’est pourquoi les chercheurs et les psychologues conseillent aux parents de profiter de cette période pour enrichir le langage de l’enfant.

Peut-on ignorer le fait que l’apprentissage est intégré dans le processus de l’acquisition ? En fait, il n’est pas facile d’affirmer que ce dernier, lors de l’acquisition de la langue, est complétement absent. Lorsque l’enfant entend un mot et l’enregistre dans son système linguistique, il essaie plus tard de l’utiliser dans le contexte approprié. Lorsque les parents corrigent, consciemment ou inconsciemment, la forme orale, morphologique ou syntaxique du mot produit par l’enfant, on peut dire que l’enfant passe à ce moment-là par une courte leçon ou reçoit une remarque linguistique. Par exemple, on corrige l’enfant en disant : le jouet pas la jouet ; donne-le-moi et non pas donne-moi-le, etc.

Donc, l’enfant passe dans l’acquisition de sa langue maternelle par des passages d’apprentissage, car tout processus linguistique en langue maternelle ou en langue étrangère est classé comme processus mental conditionné par le contexte social. Long et Richard (2000) disent à propos de l’acquisition des langues étrangères que :

“Second language acquisition is first and foremost a mental process – one that occurs in a behavioral and social context, to be sure, but fundamentally a matter of acquiring a new knowledge system. Cognition and cognitive factors, therefore, are central to any account of how and why SLA works […]”[4] ( 2000 : p. VII).

Ce va-et-vient entre acquisition et apprentissage de la langue maternelle et ce processus mental hybride sensibilise l’enfant à l’importance d’être pertinent dans l’utilisation de sa langue maternelle et le fait que l’interlocuteur comprend nos énoncés ne signifie pas forcément que ces derniers sont corrects.

Il est évident que la question de l’acquisition et de l’apprentissage est un sujet épuisé par les chercheurs, mais il nous semble important dans ce travail d’attirer l’attention des lecteurs sur le fait que les jumeaux Medo et Bono étaient exposés aux mêmes conditions linguistiques, voire extralinguistiques lors de l’acquisition et de l’apprentissage de l’arabe. Leurs parents[5] essayaient de temps en temps de corriger leurs erreurs de langues sans y insister. On peut juger ce processus comme apprentissage lors de l’acquisition de la langue. « L’enfant parvient à acquérir sa langue maternelle par une série d’essais de mots/phrases non standards et de corrections par les parents et l’entourage ». ( Szulmajster-Celnikier, 2004 : 9)

  1. La compréhension et la réaction[6]

Il est bien évident que la compétence de compréhension précède souvent celle de la production linguistique que ce soit dans l’acquisition de la langue maternelle ou bien dans l’apprentissage de la langue étrangère. Loisy Catherine (2001) confirme que le nombre de mots compris est nettement supérieur au nombre de mots utilisés, et ceci reste vrai tout au long de la vie. C’est pour cette raison-là que nous commençons notre recherche par les remarques que nous avons notées sur la compréhension et la réaction linguistique ou non linguistique de Medo et Bono.

Nous n’avons pas parlé de la période du mois 1 au mois 8 car les remarques notées sont en général des sourires, des regards, des cris et certains mouvements corporels comme réactions à nos échanges linguistiques. Pendant cette période, l’échange avec l’enfant reste au niveau extra-linguistique.

L’enfant communique avec son corps […] les caressent le calment et font cesser ses pleurs. Il communique aussi par le regard. […] Les sourires correspondent à des états de bien-être.(Loisy, 2001 : 3)

    1. Période : 8 – 12 mois

Pour Bono, elle comprend parfaitement le sens de Oui et Non et au mois 12 elle commence à faire la différence entre Papa et Maman ; alors que Medo commence à comprendre le sens de Oui et Non au mois 10 sans bien faire la différence entre les deux mots Papa et Maman. Pendant cette période, la communication linguistique est faible et on vérifie la compréhension de Oui et Non par l’accord ou le désaccord sur une action : il/elle fait quelque chose, on lui dit Oui pour dire qu’on est d’accord, ou bien Non pour dire qu’on ne l’est pas.

    1. Période : 13 – 18 mois

Bono commence à marcher au mois 13 alors que Medo au mois 15. La compréhension d’un certain vocabulaire commence à progresser chez Bono beaucoup plus vite que chez Medo. Pendant cette période, Bono comprend parfaitement les phrases impératives : apporte, viens, va, donne, mets dans la poubelle; alors que Medo ne commence à comprendre mets dans la poubelle qu’à la fin du mois 18. Bono comprend également les deux mots Lait et Mouchoir alors que Medo ne les comprend pas encore.

    1. Période : 19 – 24 mois

Bono commence à comprendre les questions qui commencent avec le mot interrogatif : où est Papa / Maman / Papi / Mamie ? Elle commence à connaître les prénoms de ses frères et sa sœur, et elle développe la compréhension d’autres phrases impératives : Ferme la porte ! Couche-toi ! Assieds-toi ! Elle ajoute à son bagage lexical les mots : Ballon, poubelle, jouer, au revoir, dormir. Le décalage de compréhension entre Medo et Bono reste remarquable, si bien qu’il commence à comprendre les phrases : Couche-toi ! Viens ! Assieds-toi ! Au revoir ! deux mois plus tard que Bono. Donne-moi ! Que Bono comprend et auquel réagit au mois 15, Medo ne commence à le comprendre qu’au mois 24.

    1. Période : 25 – 30 mois

Bono ajoute à son bagage lexical les deux verbes se brosser les dents et nettoyer. Elle comprend également lève-toi et le premier animal qu’elle enregistre dans sa mémoire est chien. Pour les vêtements, elle commence par la compréhension de chaussettes. Quant au placement, elle fait la différence entre sur et sous. Pour la première fois dans une communication, Bono comprend je ne veux pas.

Pour Medo, il comprend chaussettes dans la même période que Bono et il comprend les phrases impératives : mange, prends, fini. Il comprend également la question : tu vas chez Mamie ? et tu bois du lait ?

Alors que Bono comprend presque toute phrase impérative simple dans cette période, Medo comprend moins et sans beaucoup de concentration. Par exemple, lorsqu’on demande à Bono de fermer la porte, elle réagit toute de suite, alors que Medo prend un peu de temps pour analyser l’ordre et on lui parle souvent en soutenant la phrase avec un geste déictique, comme indiquer la porte, pour s’assurer de la bonne compréhension.

    1. Période : 31 – 36 mois

Bono et Medo commencent à comprendre tous les deux en même temps les noms des fruits : pomme, orange, banane, raisins. Les animaux : chat, tortue, cheval, et chien sont nouveaux pour Medo mais déjà connus pour Bono.

    1. Période : 37 mois – 5 ans

Medo et Bono comprennent presque toute phrase en rapport avec la communication quotidienne. Par exemple des sujets qui relèvent des besoins physiologiques : manger, boire, aller aux toilettes, s’habiller, saluer, dormir, jouer, etc. Il faut rappeler ici que Bono a une réaction à la communication linguistique plus rapide que celle de Medo. Autrement dit, si on leur demande Qui veut boire du lait ? on remarque que Bono répond plus vite à la question que Medo alors que ce dernier prend du temps à analyser et à comprendre la phrase. Ce qui arrive, c’est que Bono répond à ce genre de question par Moi j’en veux et Medo répond après elle par Moi aussi.

  1. Constatations

À partir des observations et des données précédentes, on peut constater les faits suivants :

a) Bono est en avance constante de deux mois par rapport à Medo dans la compréhension et la réaction linguistique. Cela pourrait être considéré comme une petite avance de compétence cognitive chez Bono ou bien un petit retard de compétence cognitive chez Medo. La deuxième explication c’est que Bono, en tant que fille, apporte beaucoup plus d’attention au monde qui l’entoure dont la langue. Chevrié-Muller, Simon et Decante (1975) affirment que la nature du couple et du sexe de l’enfant ont des conséquences sur les performances linguistiques des jumeaux.

b) Bono est dotée d’une très bonne concentration et analyse environnementale pour son âge. Elle montre toujours un intérêt pour tout ce qui l’entoure dont la langue. On remarque cela par ses réactions gestuelles et émotionnelles. Par contre, Medo a souvent une réaction retardée ou bien pas de réaction à beaucoup de faits linguistiques ou non linguistiques. On observe également que Medo montre une bonne réaction aux mêmes faits quelques mois après, ce qui est dans les normes du progrès linguistique chez un enfant. Mais en le comparant à sa sœur Bono, on le trouve en retard malgré le fait qu’ils sont tous les deux exposés aux mêmes faits linguistiques et non linguistiques dans le même entourage socio-linguistique et pour la même période.

c) On remarque que Bono cherche beaucoup plus la perfection dans ses actions, dont la compréhension linguistique. Lorsqu’on lui demande d’apporter quelque chose, par exemple, elle aime bien montrer sa compétence de compréhension en exécutant l’ordre toute de suite. En revanche, Medo ne fait pas la même chose, soit parce qu’il ne veut pas ou bien parce qu’il ne comprend pas bien la phrase. Bono, apprécie qu’on la félicite pour sa performance linguistique et gestuel et pour la compréhension d’une production linguistique, alors que Medo n’y apporte pas beaucoup d’attention. Cela concorde avec ce que Ramer (1976) et Schachter, Shore, Hodapp, Chalfin et Bundy (1978) ont trouvé : le développement langagier chez les filles est beaucoup plus précoce que chez les garçons dans les premières étapes de l’acquisition du langage.

d) En tant que parents, nous aimons déclarer et ressentir que nos enfants ont une compétence de compréhension linguistique, c’est pourquoi on a tendance à les aider à décoder la phrase. Par exemple, lorsqu’on leur demande d’ouvrir la porte, on indique la porte et on fait le geste d’ouvrir pour faciliter la compréhension. Donc, on tente encadrer la compréhension linguistique de nos enfants, alors qu’on cesse de faire à l’âge où les enfants commencent à révéler leur compréhension par une production linguistique. Donc, les parents (et surtout la mère) jouent un rôle important dans le développement langagier de leurs enfants. Selon Mc Evoy et Dodd (1992) les mères des enfants jumeaux ne s’adressent pas à leurs enfants de la même façon que les mères des enfants uniques. Tomasello, Mannle et Kruger (1986) expliquent à ce propos que les mères des enfants jumeaux s’adressent souvent au couple (les deux jumeaux) en même temps et qu’il y a moins de conversations binaires (mère – enfant jumeau).

  1. La production linguistique

L’acquisition de la langue se fait, comme les sciences du langage nous l’apprennent, dans le milieu social que l’individu fréquente, tandis que l’usage des compétences linguistiques arrive bien plus tard après les avoir acquises. Autrement dit, on commence par l’enregistrement des données linguistiques, ensuite, une fois l’appareil phonatoire bien construit, on se met à les utiliser dans des situations de communication. En revanche, on ne peut pas dire que ces deux fonctions du langage (l’acquisition et l’usage) sont séparées. Au contraire, pendant le processus de l’acquisition, l’enfant apprend la représentation des éléments linguistique dans la société. Autrement dit, l’enfant apprend lors de l’acquisition du langage, le rapport étroit entre la mention (le signe linguistique) et l’usage (sa représentation dans le monde).

L’enfant acquiert le lexique (les mots) et la syntaxe (la fonction et la disposition des mots dans la phrase) dans les échanges avec son environnement familial et social. Les psychologues admettent aujourd’hui que les deux fonctions du langage (communication et représentation) sont étroitement liées au cours du développement. (Loisy, 2001 : 7)

La production linguistique de Medo et Bono se limite du mois 1 au mois 8 à émettre des sons qui peuvent être vides de sens pour nous, mais significatifs pour eux. Linguistiquement, on peut dire que ces sons ou ces cris représentent un entraînement de leurs appareils phonatoires et une imitation des sons qu’ils entendent dans leur entourage linguistique.

    1. Période : 8 – 12 mois

D’après Monique Viau, l’enfant commence à entraîner son appareil phonatoire dès la naissance. Les sons vocaliques apparaissent à partir de 2 mois et l’utilisation du larynx vers 4-5 mois avec la modulation des sons. Vers le mois 6, le bébé produit un babillage dont le rythme et la mélodie deviennent caractéristiques de ceux de la langue maternelle vers le mois 8. Les premiers mots apparaissent à partir de mois 8.

Ce qui a précédé s’applique plus au mois à la production linguistique chez Bono. Elle continue à faire des babillages jusqu’au mois 8 et c’est à partir du mois 9 qu’elle commence à dire Papa et Maman et ensuite lumière et ça au mois 11-12. Quant à Medo, le babillage se prolonge chez lui jusqu’au mois 11 et il commence à dire lumière et ça au mois 12. Le mot lumière chez les deux signifie toute chose : chaussures, table, chaise, etc. Loisy Catherine (2001) déclare à ce propose que l’enfant crée des mots pour compléter son lexique. Il peut créer les noms qui lui manquent pour désigner les choses, ensuite il peut continuer à utiliser ce processus pour les verbes. Tandis que Anne Szulmajster-Celnikier affirme en ce qui concerne le babil que « tout comme, chez le jeune enfant, il y a organisation et simplification du babil par sélection jusqu’à l’âge de 12 mois sous la pression de la ou des langue(s) environnante(s) ». (Szulmajster-Celnikier, 2004 : 9)

    1. Période : 13 – 18 mois

Bono utilise facilement, en arabe bien évidemment, au revoir, Bisous, eau, manger, Papi, merde, bébé et elle est bien consciente de l’usage et de la signification de ces mots. Quant à Medo, il ne sait dire que au revoir, bisous, manger et eau.

Il faut signaler ici que chez Medo et Bono manger est remplacé par /nanam/, au revoir par /baյ/, grand-père par /dedo/ et bébé par /bobo/. Cette déviation phonétique est due au langage des parents et de l’entourage familial qui usent le même langage que l’enfant. Cette déformation de la prononciation des mots entraîne chez les enfants un vocabulaire qui ne fait pas partie de la langue maternelle. Alors que certains mots, comme /dӡido/ qui veut dire Papi devient /dedo/ car l’enfant remplace la consonne /dӡ/ par /d/ comme tendance à faciliter la prononciation.

    1. Période : 19 – 24 mois

Bono utilise à sa façon facilitatrice la forme /da?o/ pour dire /o؟od/ en dialecte jordanien qui signifie s’assoir. Elle commence à dire chaussures /boto/. Pour dire Je veux dormir elle se contente de dire dormir /nam/, alors qu’elle commence à développer ses phrases en disant chaussures au revoir /boto baյ/ pour dire Je voudrais mettre mes chaussures pour sortir. Elle sait utiliser haut, bas, ici /fo?/, /taћt/, /hon/. Le nom du premier animal prononcé est chat /beseh/ ce qui désigne n’importe quel animal. Bono a inventé un prénom à son frère Medo qui est /gago/ et /յeյeh/ à sa sœur Zainah. Ce sont des noms qui n’ont pas de rapport phonétique avec le vrai prénom. Elle utilise l’adjectif bon /zaki/ pour dire repas. Au mois 24 Bono commence à mettre les mots ensemble dans une syntaxe particulière pour faire une phrase, par exemple: Gago chaussures où? /gago boto wεn/ pour dire Où sont les chaussures de Medo?

Revenant à Medo qui est moins performant dans sa production linguistique au cours de cette période que sa sœur Bono. Il utilise toujours lumière /d؟ao/ pour désigner toute chose surtout la chaise, voire le verbe s’assoir. Medo et Bono utilisent au mois 21 le pronom moi /ana/ pour dire C’est pour moi. Medo sait dire non et il commence à dire bébé /bobo/ au mois 23 alors que Bono sait le dire au mois 18. Il appelle son frère Amr par /amo/, et cela est considéré comme un petit glissement phonétique pour adapter le mot à sa façon de prononciation.

    1. Période : 25 – 30 mois

La production linguistique devient remarquable chez Bono pendant cette période. Il sait faire des phrases impératives : Lève-toi, fais manger, Mama vient voir, Tiens cela, Regarde. Toujours avec une prononciation qu’on appelle enfantine. De nouveaux mots surgissent : Lait, chien, médicament. Elle sait compter jusqu’à trois et faire des phrases déclaratives : C’est le livre de Zainah avec une structure incorrecte mais compréhensible voilà Zainah livre ; On va à la maison de Mami /va baյ tεta/. La première phrase interrogative c’est Papa, où est Maman ? /baba wεn mama/. Quant à Medo, le progrès est lent par rapport à celui de sa sœur. Il sait dire Lait mais avec une prononciation différente de celle de Bono. Il dit /hibo/ alors qu’elle dit /hibi/. Il dit /dede/ pour menacer ou exprimer sa colère. Je t’aime Papa une phrase qu’on ne trouve pas chez Bono. Il exprime la négation plus que Bono : Je ne veux pas, Non. Papa regarde, Donne-moi à manger Papa, viens Papa sont des phrases qu’on trouve chez les deux petits. Medo sait compter jusqu’à deux.

    1. Période : 31 – 36 mois

Au début de cette période, Bono commence à pratiquer la négation avec la particule No[7] en anglais : /no akol/ no manger, /no wawa/ no malade. Elle sait la différence entre plein et vide. Elle développe son vocabulaire des animaux : chameau, lion, tortu, cheval. Le vocabulaire des légumes et des fruits devient aussi riche : concombre, oignon, pomme, orange, banane, pomme de terre, piment. Il sait accorder le bon chiffre au nombre d’objets de 1 à 3. Sa première phrase au passé est : Le pigeon a volé /elћamameh t؟arat/. Les couleurs qu’elle sait utiliser : rouge, blanc, rose, vert. Ses premiers verbes à l’impératif dans des phrases bien structurées avec une bonne prononciation sont : Regarde, Laisse-moi, Donne-moi à manger. Elle utilise toujours le No anglais pour faire la négation : /no laqεt bant؟alon/ No trouver le pantalon. À ce propos, Juillard parle de shift si bien qu’elle dit que le :

sujet parlant qui bricole et utilise les moyens du bord, c’est-à-dire « tout ce dont il dispose » ; le shift qui est toujours, en contexte, un marquage empirique et la trace d’une discontinuité structurelle, est, peut-on dire, indicatif de l’activité de « feuilletage », qui est une déclinaison, personnelle autant que collective, de variétés linguistiques qui s’actualisent et se définissent grâce au marquage. (Caroline Juillard, 2011 : 31)

Elle développe très bien le passé : j’ai mangé /akalt/. Elle commence à utiliser les adjectifs possessifs mais avec des erreurs : /bant؟alon ana/ moi pantalon pour dire mon pantalon.

Quant à Medo, il développe son vocabulaire mais toujours moins que Bono : pomme, banane, orange et pour les animaux chien, cheval. Il sait toujours compter de 1 à 3 mais sans savoir accorder le bon chiffre au bon nombre. Il dit trois pour une deux ou trois objets. Il ne connait pas les couleurs et il n’utilise pas encore le passé : il vole pour il a volé. Concernant les pronoms il dit comme Bono /bant؟alon ana/ moi pantalon pour mon pantalon. Il mélange les possessifs : ton pied pour mon pied.

    1. Période : 37 mois – 5 ans

Bono développe d’une façon très remarquable ses compétences linguistiques et elle devient capable de construire des phrases correctes : Papa veut aller à la piscine, Où vas-tu? Tu me fais mal ? Elle corrige même Medo lorsqu’il fait une faute. Par exemple, elle dit à Medo comment prononcer le ballon explose /elbalon befqa؟/. Elle insiste toujours pour utiliser le No anglais pour effectuer la négation : Je No vais avec toi /ana no ruћ ma؟ak/. Elle ajoute le verbe /kana/ Etre pour insister sur le passé. Par exemple, elle dit Je l’ai été frappé /ana kan d؟arabtoh/. La conjugaison du verbe au passé en arabe n’a pas besoin d’auxiliaire. C’est la morphologie du verbe même qui indique le temps du verbe. Alors que pour l’imparfait, on est obligé d’utiliser le verbe /kana/ être. Donc, Bono mélange l’imparfait et le passé-composé dans la même construction.

Quant à Medo, à force de regarder les dessins animés à la télévision, il utilise certains mots de l’arabe standard : /maծa/, /hasanan/, /la osadeq/ Quoi, d’accord, je ne crois pas. Alors que Bono arrive à poser des questions correctement, Medo dit toujours Quoi tu vas ? au lieu de Où tu vas ? Il mélange toujours la troisième personne du singulier (il) avec la deuxième personne du singulier (tu) : Papa, tu vas à la piscine pour dire que Papa, il va à la piscine. Pour le passé, il fait la même chose que Bono quant à l’utilisation du verbe /kana/ pour insister sur le temps du passé : /ana kan akalt/ moi, j’ai été mangé pour dire j’ai mangé. Il confond toujours les adjectifs possessifs : c’est ta voiture /saյartak/ pour dire c’est ma voiture /saյarti/. Mais à l’âge de 4 ans, il commence à utiliser correctement les adjectifs possessifs.

  1. Constatations

À partir de nos observations et des données précédentes, on peut constater les faits suivants :

a) Dès le huitième mois, on commence à remarquer une différence dans les compétences de production linguistique entre Bono et Medo : Bono est bien en avance par rapport à Medo. Barriol et Garitte (2011) confirment que :

[…] les performances des jumeaux de couple bisexués sont spérieures à celles des jumeaux de couple unisexué. Ce classement nous permet donc de valider à la fois la troisième et la quatrième hypotheses lesquelles référent à de plus grandes difficultés pour les garçons unisexués et à une plus grande facilité pour les filles, qu’elles soient issues d’une dyade bisexuée ou unisexuée. (Barriol et Garitte, 2011 : 279)

b) Bono fait beaucoup plus attention à son langage que Medo. Elle essaie d’être correcte dans sa prononciation et construction de phrases. Pour preuve, elle fait des remarques sur le langage de Medo.

c) Bono et Medo recourent souvent à leurs propres mots enfantins même s’ils comprennent le mot d’origine. Par exemple, ils connaissent /akol/ manger mais ils disent néanmoins /nanam/.

d) Bono se met à juxtaposer des mots pour essayer de construire des phrases qu’elle commence à maîtriser beaucoup mieux au début du mois 36 ; tandis que Medo se contente d’utiliser quelques mots pour s’exprimer. Ainsi, lorsque Bono dit /ana akol mozeh/ Je mange une banane, Medo se contente de dire tout simplement /mozeh/ banane.

e) Medo est influencé par la télévision et il utilise des mots de l’arabe standard alors que Bono n’y est jamais intéressée.

  1. remarques linguistiques

Dans cette partie, nous allons tenter d’analyser les productions linguistiques de Medo et Bono afin de repérer les éventuelles étapes du progrès linguistique chez un enfant. La compréhension est un indice des processus d’enregistrement des compétences linguistiques chez l’enfant qu’il utilisera par la suite pour s’exprimer dans des situations de communications appropriées. Nous nous focalisons sur les productions linguistiques car elles sont plus révélatrices que la compréhension et les réactions extra-linguistiques.

Nous n’allons pas faire la différence entre les productions linguistiques de Medo et Bono, mais il faut toujours rappeler que Bono est en avance par rapport à Medo dans la compréhension et l’expression.

  1. Essai et entraînement de l’appareil phonatoire

Les premiers neuf mois sont spécialement marqués par le babil, manière qu’a l’enfant de s’entraîner à émettre des sons susceptibles de disparaître par la suite. Medo et Bono produisent des sons difficiles comme /x/ , /ћ/ , /؟/[8] qui ont disparu à l’âge de deux ans lors de la prononciation d’un mot complet. À ce propos, Monique Viau confirme que les bébés sont capables de produire tous les sons existants, même ceux qui ne font pas partie de la langue maternelle. Ainsi, pour dire, /ruћ/ aller le dernier phonème /ћ/ que Medo et Bono maîtrisaient parfaitement pendant la période du babil est remplacé par un phonème plus facile qui est le /h/, à l’âge où ils commencent à faire des mots. Cette métamorphose dans la prononciation d’un son peut s’expliquer par l’existence d’un phonème voisin (consonnes et voyelles) dans le même mot qui pourrait entraîner un changement de prononciation du phonème. Par exemple, Medo et Bono pouvaient très bien émettre le son /ћ/ à l’âge du babil alors que ce son a été remplacé par /h/ dans la prononciation du mot /taћet/ sous par /h/ qui est devenu /tahet/ par l’influence de la voyelle /e/ induisant un allégement du son /ћ/.

[…] l’enfant de quelques jours de vie est capable de discriminer les phonèmes. De plus, il distingue les phonèmes de toutes les langues, ce que l’adulte ne sait plus faire. De plus il sait déjà distinguer les phonèmes qui ne diffèrent que par un seul trait distinctif. […] L’enfant peut donc dès la naissance détecter des différences acoustiques très subtiles. (Loisy, 2001 : 5)

Papa et Maman sont souvent les deux premiers mots que l’on entend prononcer par les bébés vers la fin de la première année. Nous ne pensons pas que Medo et Bono commencent vraiment à cet âge à désigner leur Papa et Maman par une appellation linguistique, mais c’est plutôt un progrès phonétique qui a entraîné un enchainement des consonnes et des voyelles. En ouvrant et fermant les lèvres avec un souffle d’air allégé, l’enfant peut énoncer /mama/, alors qu’il peut produire /papa/ de la même manière, mais en rendant l’air expiré plus explosif. Cela expliquerait pourquoi tous les bébés, dans toutes les langues et les cultures, disent, au même âge, /papa/ et /mama/.

  1. Mots isolés mais contextualisés

Les besoins biologiques des enfants les poussent à apprendre des mots pour exprimer leurs besoins biologiques importants, surtout : manger, boire et dormir. Comme le mot /maյ/ eau est facile à prononcer (consonne bilabiale et deux voyelles), Medo et Bono ont gardé le même mot pour exprimer le besoin de l’eau. /maյ/ eau est un mot-phrase : je veux de l’eau, je veux boire, j’ai soif, etc. Par contre, pour exprimer leur besoin de manger ils disent /nanam/, un mot enfantin, que les parents et les enfants utilisent car il est plus facile à prononcer que /akol/ manger qui contient la consonne /k/ que l’on peut considérer difficile à prononcer pour les enfants. Les parents se trompent lorsqu’ils pensent que leurs enfants ne peuvent pas prononcer des sons occlusifs vélaire comme le /k/ car ils peuvent très bien dire /kaka/ faire caca.

A l’âge de 19-24 mois, pour dire je veux aller chez Papi Medo et Bono se contentent d’émettre /dedo/ Papi qu’ils considèrent comme phrase suffisante pour délivrer leur message. Il en est de même pour /boto/ chaussures pour dire je veux sortir. Donc, on peut constater que Medo et Bono recourent à l’usage d’un mot clé pour délivrer un message.

Le premier mot que Medo et Bono utilisent pour désigner toute chose est /d؟ao/ lumière. Ils pourraient être attirés par la lumière comme beau phénomène et ils ont enregistré ce mot facile à prononcer pour référer à d’autres éléments tels que : chaise, table, livre, stylo, etc. Il en est de même pour les animaux ; le premier animal qu’ils ont connu était le chat dont l’appellation est facile à prononcer /beseh/. Ils ont donné cette appellation à tout animal qu’ils voient en réalité ou en image : chien, cheval, mouton, etc. Loisy Catherine (2001 : 8) dit à ce propos que l’enfant “apprend les termes génériques (ou classes super-ordonnées). Il applique le mot chien à toute l’espèce canine.”

Il faut signaler ici que la plupart des mots clés utilisés par Medo et Bono ne sont pas des verbes mais plutôt des substantifs. Autrement dit, pour exprimer je veux sortir ils ne le font pas en terme de aller, sortir, partir mais plutôt en terme de /boto/ chaussures, /baյ/ au revoir, /dedo/ Papi

Parmi le jargon intoné qu’il utilise pour s’exprimer, on reconnait parfois des bribes de phrases; il se contente le plus souvent d’un mot qui a pour lui le sens d’une phrase (“gâteau” pour dire: je veux un gâteau) et parfois même, il simplifie carrément le mot: “to” pour dire: je veux un gâteau. (Américan academy, 2004)

Donc, on peut affirmer que dans les deux premières années, la communication linguistique était active chez Bono et Medo. Ces derniers ont pu développer leur propre bagage lexical dans lequel un mot peut être l’équivalent d’un énoncé :

  • Mots enregistrés et appris tel qu’ils sont: /baյ/ au revoir, /boseh/ bisous.
  • Mots inventés: /da؟o/ s’assoir
  • Mots appris mais utilisés pour un autre sens : /d؟ao/ lumière pour dire chaise, table, livre, etc

Aborder l’utilisation des mots isolés chez nos deux jumeaux était très important pour affiner l’étape suivante qui est l’assemblage des mots pour construire une phrase.

  1. Assemblage de mots (Parataxe)

Dans la construction des énoncés, on remarque que Bono et Medo ne font pas attention à l’utilisation des mots-outils comme les prépositions et les déterminants (les articles, les démonstratifs, les possessifs, etc). C’est pourquoi on parle de parataxe et non pas de syntaxe ou de construction phrastique.

L’intégration des petits mots et de la conjugaison. L’usage des petits mots du groupe nominal se développe. Les articles, pronoms, prépositions, adverbes apparaissent progressivement et parallèlement mais selon un même ordre chronologique. (Loisy, 2001 : 11)

Medo et Bono disent /babaյeruћ masbaћ/ Papa va piscine. On remarque l’absence de l’article défini avec le mot piscine et la préposition indiquant la destination. /wεn lo؟beh ana/ Où est jouet moi ? : ils utilisent le pronom tonique à la place de l’adjectif possessif. On remarque ici qu’ils essaient d’exprimer la possession mais d’une façon incorrecte. Ainsi, la maîtrise des adjectifs possessifs n’est pas encore complète, alors qu’ils les comprennent bien. Après le mois 36 Bono commencent à mieux manier les mots-outils dans la construction de ses phrases : /baba bedoյeruћ ؟ala elmasbaћ/ Papa veut aller à la piscine, tandis que Medo dit toujours /babaյeruћ masbaћ/ Papa va piscine. On peut affirmer que l’absence des mots outils dans le langage de Medo et Bono serait dû à la concentration sur les mots clés dans l’énoncé qu’ils considèrent plus importants que les mots-outils dans la communication orale.

Jusqu’au mois 36 l’utilisation des temps verbaux n’était pas correcte dans la construction des phrases, surtout le passé. Prenons le cas de /ana kanյakol/ *J’étais mangé, /ana kan d؟arabtoh/ *J’étais le frappé. Ce genre de phrases indique que Medo et Bono sont sensibilisés à l’utilisation du passé mais sans le bien maitriser. L’insistance sur l’utilisation de la copule être au passé est un message clair de leur part que non seulement ils connaissent le passé, mais qu’ils veulent inscrire leurs phrases dans ce temps. Malgré tout cela, le passé reste difficile à manier et à utiliser par les enfants. Loisy Catherine (2001 : 9) déclare que “parler du passé est encore très difficile : ils [les enfants] ne se souviennent pas des événements, ils ne savent pas se situer dans le temps, ils n’ont pas les mots pour le dire.”

Si on veut faire un inventaire ou un classement de types de phrases utilisées par Bono et Medo, on relève que les phrases interrogatives et impératives sont les plus courantes. Cela est normal, car à leur âge, le recours à la langue s’effectue sur la base des besoins plus que des idées ou des opinions. Ainsi, des phrases du type : Où est Papa ? Quand on mange ? Donne-moi ! Ouvre ! Ferme ! etc. sont plus courantes que des phrases déclaratives : Il est gentil, Tu es beau. Le jouet est intéressant, etc.

La syntaxe s’avère souvent erronée, car Medo et Bono se concentrent plus sur le côté sémantique que syntaxique : /bant؟alon ana/ Pantalon moi, ici le choix et la place de l’adjectif possessif ne sont pas corrects. Loisy Catherine (2001 : 12) observe également que les adjectifs possessifs constituent un problème pour les enfants français : l’enfant accorde l’adjectif possessif avec sa personne et non avec le substantif : par exemple, un garçon dit “mon chambre” et une fille dit “ma chien”. On remarque que ce problème d’adjectif possessif est flagrant chez Medo et Bono.

D’un point de vue socio-linguistique, on note que durant le processus de l’acquisition de la langue arabe, Medo et Bono se focalisent beaucoup plus sur le contenu que sur la forme. Ils recourent souvent aux mots clés pour exprimer leurs phrases sans se préoccuper des mots-outils. En tant qu’enseignant du Français Langue Étrangère, nous relevons que les apprenants d’une langue étrangère font appel inconsciemment au processus de l’acquisition de leur langue maternelle en essayant de l’appliquer à l’apprentissage de la langue étrangère : insistance sur le contenu plus que sur la forme. Il en est ainsi de l’absence des articles, la mauvaise utilisation des prépositions, le choix erroné des adjectifs et pronoms possessifs, la place inappropriée de certains mots dans la phrase, etc. Opérer un rapprochement complet entre l’acquisition de la langue maternelle et l’enseignement d’une langue étrangère ne serait pas toujours correcte et raisonnable, mais reste cependant indicatif des priorités linguistiques accordées par l’enfant et l’apprenant étranger aux choix de mots lors de la construction des phrases.

Avant de clore cette partie, il nous semble important de parler de l’influence linguistique de l’entourage de l’enfant : école, grands-parents, cousins, amis et voisins.

Certains mots ne sont utilisés que par les grands-parents de Bono et Medo. Ils les enregistrent, les comprennent mais n’en usent jamais car ils possèdent un équivalent plus courant, par exemple : les grands-parents disent /kondara/ au lieu de /bot/ chaussures. Cela s’applique également à l’emploi de certains mots utilisés par les cousins, les voisins et les amis sortant d’un milieu socio-linguistique différent de celui de Medo et Bono. Ils comprennent ces mots, mais ne se sentent pas obligés de s’en servir parce qu’ils connaissent un équivalent enregistré a priori dans leur bagage lexical et déjà usité dans leur milieu familial.

Comme Bono progresse linguistiquement toujours plus nettement que Medo, elle fait très attention au langage de Medo et essaie de le corriger dans sa prononciation. À plusieurs reprises, Bono essaie d’expliquer à Medo comment dire /elbalon befqa؟/ le ballon s’explose car Medo n’arrive pas à prononcer le verbe /befqa؟/ s’exploser correctement. Donc, Bono, aurait une conscience et attention linguistique plus fortes que Medo. Barriol et Garitte (2011) affirment à ce propos que “lorsque les jumeaux sont de sexe différent, leur complémentarité paraît naturelle, bien que la fille soit le plus souvent considérée comme dominante.” (Barriol & Garitte, 2011 : 273)

  1. Conclusion

Il convient de rappeler que les résultats de notre recherche longitudinale ne s’avèrent pas exhaustifs tant significatifs. Deux jumeaux que nés dans le même milieu social, vivant dans la même famille et fréquentant le même entourage familial, présentent une différence remarquable dans l’acquisition de la langue arabe. À savoir que ces deux jumeaux n’ont aucun problème physique ni dans l’appareil phonatoire ni dans l’appareil acoustique. Nous avons essayé de résumer les raisons de cette différence dans le progrès de l’acquisition de la langue maternelle chez ces deux jumeaux :

1- La divergence d’intérêt : par différence de sexe, les intérêts de la fille ne sont pas les mêmes que ceux du garçon. Cette divergence aurait une influence sur l’acquisition de la langue si bien que chaque enfant choisirait le champ lexical des mots qui répondent à ces besoins et à ces intérêts.

2- La concentration : le niveau de réaction et de concentration aurait un rôle à jouer dans les compétences langagières. La fille avait une capacité de concentration et de patience supérieure à celle du garçon. Cela lui a fourni des compétences langagières plus développées qu’au garçon.

3- L’organisation : comme la fille semble mieux organiser ses affaires et ses objets, contrairement au garçon, cela pourrait avoir des retombées positives sur l’organisation des éléments linguistiques chez elle. Bourgeois et Szulmajster-Celnikier vont plus loin lorsqu’ils parlent de « gènes du langage » : « […] on peut avancer que certains gènes participent à une cascade d’événements qui assurent la construction de réseaux neuronaux ouverts à l’acquisition du langage. » (Szulmajster-Celnikier, 2004 : 3)

4- Le perfectionnement dans la réalisation des projets : la fille colorie d’une façon parfaite en choisissant les bonnes couleurs avec une façon soigneuse imite bien l’objet à dessiner ; tandis que le garçon n’est pas attentif à ces points. Tout cela pourrait être indicatif de l’importance et du perfectionnement que l’enfant attache au langage.

S’il est difficile de prétendre que les filles en général sont plus douées pour les langues que les garçons, il est de constater qu’à partir de nos observations linguistiques de ces deux jumeaux, la fille Bono porte un intérêt remarquable à la langue et qu’elle n’épargne aucun effort pour perfectionner son niveau d’expression langagière. Le garçon Medo se contente d’exprimer ses messages linguistiques avec moins d’efforts et en comptant sur l’intelligence linguistique de son récepteur pour déchiffrer ses messages. Dans plusieurs situations de communication, les messages de Medo manquent d’éléments ce qui les rend incompréhensibles, obligeant Bono à intervenir pour expliquer et compléter les lacunes. Ainsi, Medo vient nous dire “il ne veut pas me le donner” et lorsqu’on lui demande qui et quoi, il répète le même énoncé sans expliquer. À l’âge de quatre ans, il continue à produire le même type d’énoncés mais en réagissant positivement lorsqu’on lui demande d’expliquer les lacunes et les différences dans son message.

Le but de cette recherche est de sensibiliser les chercheurs en linguistique, en pédagogie et en didactique, à la différence du progrès de l’acquisition langagière chez les enfants vivant dans les mêmes conditions socio-linguistiques. Cette recherche pourrait inciter d’autres chercheurs à élargir l’échantillon de leur travail.

Comme suite à cette recherche, nous entreprenons d’établir l’inventaire des expressions et des productions linguistiques de Medo et Bono. Cette observation et ce relevé devrait durer au moins deux ans. On insistera cette fois-ci sur l’influence de l’école sur les compétences linguistiques de nos deux jumeaux, dans la mesure où le grand retard dans le développement langagier des enfants pourrait être rattrapé et comblé à l’école (Lauria., Yudovitch, 1959)

Il faut signaler également que nous n’avons pas enregistré les paroles des deux jumeaux car nous ne voulions pas limiter le corpus. La prise de notes est plus fiable et plus facile car on pouvait relever les paroles de Medo et Bono dans presque tous les contextes et dans toutes les situations de communication.

Tableau de la transcription phonétique en API (Alphabet phonétique International) des phonèmes arabes. (“Phonologie de l’arabe.” Wikipédia, l’encyclopédie libre)

Bilab./
Labio-dent.
Dental Alvéolaire Palat. Vél. Uvul. Pharyng. Glot.
Ordinaire emphatique
Nasales m م n ن
Occlusives Muettes t ت tˤ ط k ك q ق ʔ ء
Sonore b ب d د dˤ ض dʒ ج
Fricatives Muettes f ف θ ث s س sˤ ص ʃ ش x ~ χ خ ħ ح h ه
Sonore ð ذ z ز ðˤ ظ ɣ ~ ʁ غ ʕ ع
Spirantes w/o و l ل lˤ ل j ي
Vibrantes r ر

Références bibliographiques

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“Phonologie de l’arabe.” Wikipédia, l’encyclopédie libre. 19 oct. 2018, 14:54 UTC. 19 oct.2018,14:54 <http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Phonologie_de_l%27arabe&oldid=153195067

Le Développement Des Compétences Langagières Chez Les Enfants Jumeaux: Une Expérimentation Pratique

* Corresponding author at: Université Al al-Bayt – Jordanie.

E-mail addresses: mohalkhatib@aabu.edu.jo (M. ALKHATIB)

Received 6 May 2022; Accepted 23 May 2022

Available online 5 June 2022

2787-0146/© .

  1. Traduction de la citation: Les jumeaux identiques partagent, au moins à la naissance, 100% de leur ADN, alors que les jumeaux fraternels (et les frères jumeaux) en partagent environs 50%. Si les jumeaux identiques partagent une grande partie des résultats des tests plus que les jumeaux fraternels, cela est un indicateur sur le degré de compétences cognitives héritées.
  2. Traduction de la citation : les compétences cognitives ne sont pas héritées, mais cela ne veut pas dire qu’un riche environnement éducationnel ne favorise pas une différence significative chez tout enfant. Si quelque chose est non-héritable, cela ne signifie pas forcément qu’il est inchangeable.
  3. Traduction de la citation : Un bébé ne pourra pas réfléchir à haut voix comme un adulte parce qu’il n’a pas de langue. Le nouveau-né n’a que les sens, les réflexes, un moteur d’activité limité et la curiosité. Les bébés veulent réexaminer des stimuli intéressants et les contrôler en répétant et variant certaines actions.
  4. Traduction de la citation : L’acquisition des langues étrangères est d’abord un processus mental qui se fait dans un contexte social et comportemental, certes, mais qui est essentiellement une question de l’acquisition d’un nouveau système de connaissances. La cognition est les facteurs cognitifs sont à l’origine de toute explication du comment et pourquoi l’acquisition de la seconde langue fonctionne.
  5. Les parents des jumeaux : le père (l’auteur du présent article) est professeur en Sciences du Langage ; la mère est titulaire d’un Master en Science Génétique.
  6. Les exemples sur la compréhension et la production linguistique sont traduits de l’arabe (langue maternelle des deux jumeaux) en français.
  7. Bono a appris la particule No en anglais de la femme de ménage qui est anglophone et avec laquelle les parents de Bono communiquent souvent en anglais.
  8. /x/ consonne, vélaire, uvulaire, fricative, muette

    /ћ/ consonne, pharyngale, fricative, muette

    /؟/ consonne, pharyngale, fricative, sonore