International Journal of Social Sciences and Scientific Studies (2022)
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La famille, à travers une ambivalence entre modernité, traditions, religions et antivaleurs au
Sud-kivu
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LA FAMILLE, À TRAVERS UNE AMBIVALENCE ENTRE MODERNITÉ, TRADITIONS, RELIGIONS ET ANTIVALEURS AU SUD-KIVU☆
- Docteur en Sociologie, Professeur à l’Université Officielle de Bukavu, / Université Officielle de Bukavu en R.D. Congo
Received 10 August 2022; Accepted 31 August 2022
Available online 04 September 2022
2787-0146/© .
A R T I C L E I N F O
Keywords:
Ambivalence
Famille,
Modernité
Religion
Tradition
Système d’action concret
AntivaleurA B S T R A C T
L’étude décrit et analyse des éléments à travers lesquels la famille évolue et qui bloquent son épanouissement. Elle répertorie aussi les types des familles et les catégorise selon leurs propriétés, leurs relations et modes de production. Dans cette ambivalence, et en s’inspirant de Crozier et Friedberg, l’étude propose le Système d’action concret comme mode de créativité et d’autoévaluation dans une approche praxéologique basée sur la concertation au sein des Centres d’études d’actions de changement (CEAC).
Cette réflexion a pour but d’analyser la famille moderne du Sud-Kivu et sa capacité de faire face aux aléas de la vie pour se situer valablement dans une société actuelle, en mutations et imbue de beaucoup de secousses, sévisses et diverses péripéties. Il s’agit donc d’analyser, sur base de mutations intervenues, internes et externes, les cas d’équilibre et de déséquilibre de la famille. Dans une étude des sociétés fangs du Cameroun et ba-kongo de la République Démocratique du Congo, Georges Balandier a étudié presque de la même façon les faits d’équilibre et de déséquilibre de ces sociétés. Il a trouvé des faits liés à leurs croyances, notamment, le suicide et la sorcellerie. « Pour la société ba-kongo, le suicide est un phénomène banal, non honteux, et qui n’est lié qu’aux catégories sociales inférieures… Quant à la sorcellerie, elle joue un rôle important, elle provoque même des migrations individuelles et collectives » (Balandier, 1982).
Ces sociétés, ainsi décrites par Balandier, sont restées longtemps dans leurs croyances et pratiques. Avec, la colonisation, renchérit-il, des changements importants sont intervenus, les populations eurent du mal à s’intégrer dans cette nouvelle vie. Balandier ajoute que ces sociétés ont été étudiées suffisamment par les anthropologues britanniques pour qui, « les ba-kongo se sont trouvés désemparés devant les changements qu’ils ne furent pas libres de traiter comme ils l’auraient souhaité et, par une sorte de cercle vicieux, l’impression d’insécurité a suscité une extension de la ki-ndoki (sorcellerie). C’est là une observation que ces anthropologues ont souvent faite à propos des sociétés bantous en transition » (Balandier, 1982).
Voilà toute une problématique qui est lancée. Les sociétés congolaises et particulièrement celles du Sud-Kivu sont en proie à diverses mutations depuis plusieurs décennies. Il s’avère que l’Afrique a tendance à s’européaniser pour son soi-disant développement. Or, selon Bongeli, « avec la mondialisation, seuls quelques pays pourront tirer leur épingle du jeu dans le cadre de la mondialisation, les autres, la majorité, devant se préparer à l’aggravation de leurs situations économiques, sociales et politiques et, par conséquent, à plus de pauvreté, de marginalisation et de dépendance. L’internationalisation de l’économie devra contribuer à élargir le fossé qui existe entre pays riches et pays pauvres qui n’existeront plus en tant qu’Etat que tant que le voudront les vrais maîtres du monde, promoteurs de ce nouvel ordre économique mondial » (Bongeli, 2001). Dans ce contexte, les temps actuels, modernes et mondialisés, n’affectent pas seulement les secteurs économiques et politiques africains, mais aussi, et plus encore, le secteur culturel.
Ceux qui subissent la mondialisation, du fait de ne pas en être ni concepteurs ni auteurs en sont plus affectés négativement. En pénétrant et en désorganisant le secteur culturel de l’africain, l’européen a mis l’africain dans une situation où ce dernier se sent déplumé, désemparé et où il ne sait plus où trouver l’équilibre social. C’est ce qui justifie le fameux cercle vicieux, le carcan et survivances culturels. Sans en être fières ni déterminées et sans vouloir ni les lâcher ni y renoncer, les familles enquêtées s’avancent beaucoup plus en spectatrices qu’en actrices dévouées. Elles ne savent ni avancer courageusement ni reculer en toute témérité.
Dans ce contexte, les familles hésitent, elles font la marche sur place, le recul en arrière, un pas devant et l’autre en arrière. La modernité est à comprendre, dans ce sens, comme un mode de vie fondé sur des principes orientant une nouvelle vision d’être, de penser et d’agir à travers laquelle on se fixe de nouveaux idéaux, des objectifs clairs à atteindre sur base de l’objectivité, la rationalité et la compétitivité.
Quant à la tradition, elle puise dans le passé, un passé parfois obscurantiste, théologisant, métaphysique, irrationnel et souvent dépourvu de preuves scientifiques. Ainsi, cette recherche s’est-elle fondée sur un questionnement simple :
Pourquoi la famille du Sud-Kivu, en dépit des efforts de tous les intervenants sociaux (Eglise, Ecole, Associations, Etat) ne s’intègre-t-elle pas avec détermination dans la modernité ? En guise de conjecture, nous supposons que la famille du Sud-Kivu s’intégrerait difficilement dans la modernité au regard de croyances, la vie difficile, les carcans et survivances culturels qui pèseraient lourdement sur elle ainsi que le manque de transparence, de sérieux ; et l’ignominie même de ses encadreurs sociaux.
Dans notre cheminement, nous nous sommes servi des outils méthodologiques suivants : une lecture appropriée, et de façon particulière, des œuvres en sociologie et en semi-libre, les récits de vie ; les focus group ; et l’échantillonnage. Les enquêtes se sont déroulées sur deux villes (Bukavu et Uvira) et quatre territoires (Kabare, Mwenga, Uvira et Walungu), pour un total de six cent soixante enquêtés, en raison de 110 enquêtés par univers. Notre approche analytique apparaitra à travers « les quatre actes de la recherche sociologique, notamment la description, l’explication, la critique des faits et la proposition de solution » (Marquis, 2014). Il s’agit donc de décrire les familles, expliquer certains de leurs problèmes et y proposer une thérapie sociologique.
De familles du Sud-Kivu
Catégories des familles selon leurs dynamiques sociales
Dans nos investigations menées à travers la province, en milieu rural et urbain, nous avons inventorié des types des familles classifiées selon leurs caractéristiques, modes et milieux de vie. Ces familles sont constituées de familles monogames, polygynes, amputées recomposées, séparées, etc. En empruntant les concepts de Pierre-Joseph Laurent, on y trouve aussi des familles « machistes (celles où l’autorité du mari est prédominante), machi-matricentrées (celles où l’autorité du mari est prédominante mais où la mère est au centre de tout) et des familles à visite (celles où les chefs des familles sont régulièrement ou longtemps absents de leurs foyers et n’y reviennent que rarement pour quelques jours et repartent dans leurs milieux d’activités) » (Laurent, 2018). Il est bon de signaler que les familles du Sud-Kivu sont essentiellement chrétiennes. Sur une population de 6 500 000 habitants (données démographiques au 31. 12. 2018), les musulmans compteraient moins de 5 % de la population du Sud-Kivu. Ils sont plus concentrés à Bukavu et Uvira. L’implantation de l’Islam a presque échoué en territoire de Walungu par le contingent égyptien de la Monusco qui y a érigé beaucoup de mosquées, mais malheureusement, avec très peu d’adeptes.
Dix caractéristiques ont été relevées sur les familles à travers la province. Il est bon de signaler, au départ, que de ces caractéristiques, une famille peut en représenter plusieurs, à la fois, de façon manifeste et latente. Ainsi, de façon non exhaustive, nous avons pu relever :
Les familles traditionnalistes
Elles sont caractérisées par la conservation des acquis purement traditionnels tels que la divination, l’animisme, l’habitat rustique, l’activité économique principalement agropastorale, la cueillette, l’habillement dérisoire, des installations sanitaires défectueuses, l’usage des ustensiles en bois, en liane, (ex : le van), en terre cuite (pot, cruches, casseroles), l’usage des nattes comme couverture, des lits en grabat (des sticks minces posés sur quatre ou six piliers en bois), la scolarisation réduite des enfants et des adultes, la malnutrition, la mortalité infantile élevée, des sources non aménagées, la consommation de l’eau des rivières, des conditions hygiéniques précaires, des villages enclavés souvent sous et à travers la montagne ou au bord de grandes rivières telles que Ruzizi, Nyabarongo, Ulindi, dans les vallons et versants des montagnes, dans les forêts, sur les îlots du lac Kivu.
Les familles à forte religiosité
Ce sont des types des familles encrées fortement dans des croyances religieuses vagues et sentimentales. Elles croient que Dieu donne tout : à manger, les enfants, guérison de toutes les maladies, enrichissement et appauvrissement, etc. Ces familles se retrouvent un peu partout à travers la province, surtout dans les Eglises catholiques et protestantes. La multiplicité des sectes a exacerbé ces tendances. Ainsi, à travers ces familles, 30%, soit 198 des enquêtées, dans un cas de maladie, recourent tout d’abord à la prière, soupçonnent un mauvais sort jeté sur le patient, soit par un voisin envieux, soit par un esprit malveillant, soit par le Satan ; ensuite, elles s’engagent dans une automédication traditionnelle ; puis, enfin, lorsque le cas devient grave, elles recourent à la médecine moderne tout en privilégiant la prière. Il s’affiche ainsi deux états persistants de la loi de trois états d’Auguste Comte : « l’état théologique selon lequel les phénomènes naturels, humains et sociaux ne relèveraient que de la seule volonté divine et l’état métaphysique pour lequel l’existence de ces phénomènes ne relève que de considérations abstraites. L’aspect positiviste des faits et phénomènes sociaux devant relier les faits aux causes demeure peu perceptible » (Bakenga, 2021).
Les familles à caractère développementiste
Ce sont des familles imbues de notions de dépassement de leur état d’être et qui s’engagent résolument sur la voie de changement et d’amélioration de leurs conditions de vie à travers des initiatives prises individuellement et/ou collectivement. Ces familles se retrouvent dans des villes, à travers et autour de centres commerciaux. On y retrouve, à la fois, une perméabilité très élevée au changement social et un bon nombre d’actions et de projets prônant l’amélioration quantitative et qualitative des conditions de vie des populations : amélioration de l’habitat, électrification, élevage en stabulation, semences améliorées, adduction d’eau, auberges et hôtels, restaurants, pharmacies, présence des produits manufacturés, moyens de transports disponibles, centres de santé ou hôpitaux de qualité, écoles bien construites avec des enseignants qualifiés, habillement décent, esprit rural mais à tendance urbaine, exode rural (les personnes qui immigrent dans les villes de Bukavu, Goma et Uvira proviennent essentiellement de ces centres).
Le goût du lucre observé dans ces familles et à travers ces milieux occasionne la persistance de certaines pathologies sociales, infractions et inconvénients sociaux tels que la prostitution et la consommation abusive du sexe. Dans toutes ces villes citées ci-haut et les agglomérations qui les entourent, la consommation du sexe est très élevée et ne dispose plus strictement de caractère secret. Elle concerne aussi bien les prostituées, les filles et les femmes mariées. Il s’observe bien d’autres fléaux : l’escroquerie, le détournement, la promiscuité sociale, cas de vol simple et à mains armées, le banditisme, la vie chère, la précarité des installations sanitaires, le manque d’eau potable, les armes et la militarisation à outrance, l’insécurité, la multiplicité des églises et sectes, etc.
Les familles à vocation commerciale
Bien de familles, pour de raison d’infertilité et de rareté de sol, ont privilégié les activités commerciales. Elles peuvent être associées aux deux précédentes catégories. Elles ne sont pas implantées uniquement dans les centres commerciaux, elles se retrouvent aussi dans les villages, mais la prévalence se replace dans les centres commerciaux. Il faut distinguer le fait de vendre les produits de ses champs ou les produits d’élevage de l’esprit commercial. En République Démocratique du Congo, la qualité de commerçant s’acquiert par l’acquisition d’un Nouveau Registre de Commerce délivré par les services publics. Peu de vendeurs disposent de ce document au niveau de l’intérieur. Ils exercent leurs activités marchandes sur base de la patente. Ils ne sont pas pour autant moins commerçants.
Est commerçante, à notre avis, la personne qui a pour rôle, de façon permanente, d’acheter et de vendre au but de réaliser des intérêts et de disposer d’une profession régulière, laquelle lui confère ce statut de commerçant duquel elle se reconnaît des droits et des devoirs. Nous retiendrons, cependant, qu’il n’est pas facile d’être commerçant au niveau de la province pour diverses raisons :
– l’éloignement et l’enclavement de beaucoup de milieux par rapport à la ville de Bukavu,
– la faible capacité d’achat des villageois
– le mauvais état ou l’inexistence des routes conduisant vers les marchés d’écoulement, le manque des moyens de transport et le manque des lieux d’entreposage des produits
– l’insécurité entretenue par des bandes armées, les milices, les bandits et les coupeurs de routes
– la haine, l’envie des voisins
– la marche à pied et le transport sur la tête ou sur le dos
– le mauvais état des marchés et les intempéries souvent atroces
– le faible capital investi
– le faible revenu et la taille de famille très élevée
– le manque d’initiatives des autorités locales pour désenclaver les milieux ruraux et assurer la sécurité des personnes et de leurs biens.
– etc.
Les familles à prédominance scolastique
Cette catégorie des familles est assimilable à la précédente. Ce sont des familles se retrouvant autour des écoles et qui se sont fixé comme objectif principal de scolariser leurs enfants malgré la conjoncture économique difficile. Il est à noter que si l’esprit de scolariser les enfants est plus élevé dans et autour des centres commerciaux, cet objectif ne concerne pas seulement ces familles à prédominance commerciale. Chaque famille se fixe pour idéal la scolarisation de ses enfants. Cependant, les enfants des familles nanties excellent dans les études par rapport à ceux de familles démunies.
Les familles royalistes, féodalistes et conservatrices
Ce sont des familles issues de clans royaux, les familles des chefs des chefferies et des groupements, des chefs des villages qui sont les dépositaires de la coutume et les propriétaires des terres. Elles disposent d’un comportement autoritaire sur les autres bien qu’elles soient actuellement appauvries. Elles prônent le statu quo administratif. Leur importance économique et culturelle tend à disparaître sur le terrain suite à la prédominance de l’Etat et des Eglises. Elles se retrouvent à travers toute la province comme on peut le lire dans le tableau ci-dessous :
Tableau n° 1. Subdivisions administratives de la province du Sud-Kivu
Entité administratives | Villes | Communes | Territoires | Chefferies | Secteurs | Total | Groupements |
Ville de Bukavu | 1 | 3 | – | – | – | – | – |
Territoire de Fizi | – | – | 1 | – | 4 | 4 | 18 |
Idjwi | – | – | 1 | 2 | – | 2 | 06 |
Kabare | – | – | 1 | 2 | – | 2 | 17 |
Kalehe | – | – | 1 | 2 | – | 2 | 15 |
Mwenga | 1 | – | 1 | 5 | 1 | 6 | 71 |
Shabunda | 1 | 2 | 1 | 2 | – | 2 | 11 |
Uvira | 1 | 3 | 1 | 3 | – | 3 | 16 |
Walungu | – | – | 1 | 2 | – | 2 | 31 |
Total | 4 | 8 | 8 | 18 | 5 | 23 | 185 |
Source : (Bakenga, 2017)
Les familles d’agriculteurs et d’éleveurs
Elles sont les plus répandues et se retrouvent dans tous ces types des familles, chacune disposant d’au moins 5 ares de terrain destinés à l’habitation, aux cultures et à l’élevage. Chaque famille, qu’elle soit commerçante ou traditionnaliste ou d’une quelconque autre tendance, est, au départ et principalement, de vocation agricole.
Nous retiendrons cependant que les dernières guerres ont désavantageusement influé sur l’activité agricole : des récoltes et le cheptel ont été pillés. L’infertilité du sol, l’exigüité des terres arables, l’enclavement des milieux ruraux et principalement les territoires de Shabunda, Mwenga, Kalehe, Fizi et Uvira (qui eux seuls peuvent nourrir toute la province) et l’insécurité, tels sont les autres facteurs qui plongent les familles dans le dénuement au Sud-Kivu.
Les familles dépendantes
Ce sont des familles appauvries par les guerres, l’infertilité ou le manque d’espaces cultivables, des familles sans terres, sans ressources ou des « familles retournées » de déplacements causés par l’insécurité et qui comptent uniquement sur l’aide extérieure issue, soit d’autres familles, soit des organisations caritatives. Parmi ces familles, on peut relever les familles ayant été amputées d’un ou de tous les deux parents, les familles aux membres maladifs ou vivant avec handicap ou disposant de peu d’initiatives. Elles se retrouvent à travers toute la province et représentent 10 % des familles du Sud-Kivu. C’est dans ces familles que sévissent des cas de malnutrition, le kwashiorkor et l’analphabétisme. C’est une preuve que le Sud-Kivu est une entité des personnes pauvres et qui nécessite de nouveaux modes de vie et d’actions orientées vers l’autodétermination individuelle et collective.
Les familles animistes
La manière dont l’animisme s’exprime varie selon les territoires, chaque peuple disposant de ses propres croyances. Elles varient selon les époques et les lieux. Selon certaines croyances, l’âme ne réside pas dans les mêmes sortes de personnes ou d’objets. La croyance, dans les âmes ou les esprits, peut s’accompagner d’autres croyances, comme la vénération des êtres suprêmes. Il y a encore au Sud-Kivu des familles animistes avec des croyances hypocrites. On en trouve aussi bien dans les milieux ruraux qu’urbains. Elles croient en la divination, la sorcellerie et aux fétiches.
L’animisme était fort pratiqué au sein de la province, il s’est atténué avec l’avènement du christianisme, mais des survivances de ces pratiques animistes demeurent encore. Il existe, à travers la province, des gens qui croient en la force des esprits et qui font encore le culte aux esprits mais d’une manière clandestine. Nous en avons identifié certains qui se vantaient de disposer de talents dans la protection des personnes contre les forces malveillantes, pour la réussite de leurs projets, le succès dans commerce, le voyage, la fécondité ou la maternité, etc. Quelques témoignages leur confèrent du crédit indiscutable.
C’est par exemple, quelqu’un qui soigne la cataracte ou une cassure des personnes très éloignées de lui sans contacts physiques, seul le nom du patient suffit. Ou encore, quelqu’un qui favorise la fécondité et la maternité d’une femme reconnue médicalement inféconde ou de celle disposant d’un col d’utérus constamment ouvert et qu’il parvient à fermer par de médicaments issus de plantes, alors que médicalement, le col de l’utérus ne se referme pas. S’il est constamment ouvert, pour protéger la grossesse, la médecine ne fait usage que du cerclage. D’autres invoquent des esprits et font des exploits. Bien qu’ayant été combattus, étouffés et anéantis par les colonisateurs, des tels talents existent encore. Il demeure cependant difficile de comprendre comment ces personnes acquièrent-elles des tels talents ? Néanmoins, autour de ces talentueux guérisseurs, il s’est constitué d’autres personnes, plus nombreuses que ces talentueux. Ce sont des charlatans qui se font passer pour des guérisseurs et qui escroquent leurs patients. Leurs factures sont forfaitaires, exorbitantes et leurs adresses ne sont pas toujours fixes.
Les familles animistes sont assimilables à celles traditionalistes. Elles possèdent une autre caractéristique qui tend à développer de la haine ou de la jalouse, parfois latentes mais aussi manifestes, par moments, selon les circonstances.
Les familles des politiciens amateurs
Avec la crise économique, le manque d’emploi, la rémunération très faible ou inexistante, certains congolais ont initié des réflexes de se procurer de l’argent ou de l’emploi même dans les domaines où ils ne disposent d’aucune compétence. C’est ainsi qu’avec la démocratisation de la RD Congo, bien de gens se sont lancés dans la politique. Ils ont postulé à des postes des députés provinciaux ou nationaux, non pas parce qu’ils avaient envie de défendre les intérêts de la population ou parce qu’ils en avaient la compétence, même pas parce qu’ils en comprenaient le sens, la mission ou statut auquel ils aspiraient, mais tout simplement parce qu’en RDC, la politique rémunère mieux sans efforts réels que les autres secteurs de l’emploi au niveau national.
Catégories des familles selon leurs propriétés, relations et productions
Selon leurs propriétés
On peut distinguer cinq types des propriétaires au sein de la province :
- Le propriétaire en communauté réelle : c’est par exemple les bami ou chefs coutumiers des chefferies, tous leurs chefs des groupements, toutes leurs descendances et détenteurs du sol et qui le distribuent à leurs sujets moyennant une redevance coutumière évaluée en espèces ou en nature. Actuellement, la vente de terrain se fait plus en argent et plus spécifiquement en dollar américain qu’en bétail. Le statut des propriétaires en communauté réelle est en train de s’effriter, car les chefs coutumiers et propriétaires fonciers ont presque tout vendu de façon qu’ils sont réduits à ce qu’on a appelé dans l’histoire du Moyen âge européen, les rois sans terres.
- Le propriétaire privé mais entravé : entrent dans cette catégorie, les paysans qui ont acquis des terres de leurs seigneurs (mwami, chefs de groupement et chefs des villages) et qui en disposent à leur guise mais qui, par moment, sont limités lorsqu’ils veulent en vendre une portion, car la redevance coutumière peut n’avoir pas été apurée totalement.
- Le propriétaire capitaliste : il s’agit des gens qui ont acquis de grandes portions de terres et qui les gèrent de façon autonome. Ce sont des propriétaires de vastes domaines fonciers (plantations de théier, quinquina et carrières minières…).
- Le propriétaire étatique : certains espaces relèvent de biens publics de l’Etat et par conséquent non aliénables. C’est, par exemple, le cas de boisements appartenant à la MAE (Mission anti – érosive), les espaces scolaires, sanitaires publics et non privés, les bureaux administratifs des territoires, chefferies, secteurs, groupements, postes administratifs, casernes des militaires et policiers, espaces des jeux, etc.
- Le propriétaire collectif et social : c’est une catégorie des personnes qui se sont constituées en groupe et qui, de par les cotisations des membres ou un financement d’un partenaire, ont pu acheter des lopins de terre qui appartiennent collectivement au groupe. C’est le cas de certaines associations locales de développement (Comité anti-bwaki, CDC Kiringye,), des Eglises locales, etc.
Selon la relation de production
Au sein de la province, on peut relever cinq formes de relation de production :
- La production primitive : elle relève de produits issus de la nature et consommés par la population sans qu’elle ait participé à leur production : diverses sortes de champignons cueillis saisonnièrement, les sauterelles, les fruits des brousses, les boissons du palmier, etc.
- La production isolée : elle est la plus répandue. Le paysan travaille seul dans son champ avec ses techniques et ses outils traditionnels. Le rendement est faible par rapport à l’énergie fournie. A titre d’exemple, pour produire 10 kilos de haricot dans un marais, le paysan commence les travaux de défrichage au mois de juin ; laboure durant tout le mois de juillet et une partie du mois d’août ; sème au cours du mois suivant ; sarcle durant le mois d’octobre et novembre pour récolter au cours du mois de décembre. Ces travaux se font presque chaque jour sous un soleil ardent et sous la pluie. L’exploitant doit faire face aux inondations, à l’attaque des rats sauvages (qui s’attaquent aux jeunes plants) et aux voleurs des récoltes. C’est donc toute une chaine d’activités assidues auxquelles doit se livrer le paysan qui, pour la plupart des cas, se retrouve dans un état de maladie, de faim (et généralement, c’est une femme). Il faut noter que le rendement n’est jamais proportionnel aux efforts fournis par le cultivateur du fait de l’usage d’un outil rustique, l’éloignement entre le domicile du paysan et son lieu de travail ou le champ, le manque d’engrais, la médiocrité des semences, les méthodes culturales inefficaces, l’état physique et sanitaire de l’exploitant, etc.
- La production organisée ou en relation de coopération : il s’agit d’une main d’œuvre salariée. Peu d’habitants de la province sont, en fait, salariés. Depuis que les propriétaires des plantations de thé et de quinquina ont fait banqueroute, les paysans salariés ont été, de facto, réduits au chômage. On trouve quelques agents salariés dans les hôpitaux, les écoles, les confessions religieuses et dans les services de l’Etat. Le salaire est médiocre et n’assure pas le bien-être de l’agent. La gestion de la chose publique est tellement chaotique si bien qu’on peut qualifier les gestionnaires publics congolais des véritables prédateurs qui s’illustrent par plusieurs cas d’extorsion, détournement, corruption, vol, etc. Le pays n’avance pas, non parce qu’il ne dispose pas de ressources importantes, mais tout simplement parce que les gestionnaires vident les caisses de l’Etat au profit de leurs intérêts propres. C’est de l’égoïsme à outrance qui gangrène le système économique et politique de la RDC et qui désapproprie l’Etat de moyens nécessaires pour rémunérer ses fonctionnaires et agents. A travers tout le pays, en milieu de travail, deux régimes prédominent : « le régime paternaliste de mobilisation fondé sur des relations domestiques et le régime professionnel de mobilisation qui s’apparent à de simples corporations d’artisans » (Balzani, 2010).
- La production manufacturielle : il s’agit de petites manufactures artisanales de savonnerie, boulangerie, meunerie de manioc et céréales, menuiserie, etc.,
- La coopération par implication ou le travail industrialisé : Il y en a deux grandes au Sud-Kivu : la Bralima, une brasserie des boissons alcooliques et sucrées, et la Pharmakina pour des produits pharmaceutiques sur base de l’écorce du quinquina.
Selon les modes de production
Au sein de la province, nous avons relevé cinq principaux modes de production :
- Le mode de production communautaire : il apparaît à travers les groupements des paysannes qui s’associent : pour travailler à tour de rôle dans les champs des personnes membres. C’est une forme de ristourne des travaux des champs. La relation commence à partir de leurs communautés ecclésiales de base. Les jours choisis, pour ces travaux collectifs, sont ceux qui ne sont pas des jours de marché. De même, les femmes d’un même village ou d’une même communauté confessionnelle religieuse peuvent, pour des cas de maladie, de deuil dans la famille d’une de leur groupe, aller travailler collectivement dans le champ de la personne sinistrée pendant une journée en terme de soutien moral, mais aussi en terme de marque de solidarité et d’affection envers la personne attristée pour qu’elle se sente vraiment membre du groupe et qu’elle s’en reconnaisse fière.
- Le mode de production tributaire : c’est un mode de production de tendance despotique. Il s’observe dans les travaux des champs que les sujets effectuent chez leur chef de village ou du mwami. Cependant, bon nombre de chefs des villages ne disposent plus de la notoriété d’attirer la majorité leurs sujets dans leurs champs du fait d’un affaiblissement ou un effritement du pouvoir, de l’autorité et du charisme dans certaines entités coutumières. Dans les Eglises, essentiellement catholiques, cette pratique despotique est encore en vigueur. On observe les chrétiens en train de cultiver les champs des prêtres. Les jeunes à baptiser, ceux devant recevoir le sacrement de confirmation et les enfants en préparation à la première communion sont soumis, dans toutes les paroisses catholiques pendant plusieurs jours, à des travaux forcés dans le domaine paroissial. Il en est de même pour tout adulte qui doit réintégrer les sacrements après une excommunion tacite ou manifeste. Ne pas participer à ce genre de travaux révoque inévitablement le fidèle récalcitrant à ne plus recevoir le sacrement qu’il sollicitait
- Le mode de production paysan : il est assimilable à la production isolée, il vise l’autosuffisance, curieusement jamais atteinte. Il est fragile de par son rendement mais aussi de par les échanges extérieurs. A titre d’exemple, les paysans, au lieu de cultiver du manioc menacé par la mosaïque, préfèrent s’engager dans l’achat et la vente de la farine.
- Le mode production artisanal : l’artisan est un fabricant indépendant. Il existe des activités liées à la cordonnerie, la menuiserie, la boulangerie. Ce sont des activités qu’on retrouve dans tous les centres commerciaux et urbains, et qui pourraient émerger si et seulement si ces entités étaient alimentées en énergie électrique.
- Le mode de production capitaliste marchand : il se remarque chez des personnes qui ont développé de l’esprit quelque peu mercantiliste, qui ont encré en eux l’esprit de la propriété privée, la recherche de l’argent à travers des activités purement commerciales, mais qui se retrouvent confrontés à beaucoup de difficultés, notamment la multiplicité des taxes, l’insécurité, la dévaluation régulière du franc congolais, etc.
Modernité, traditions et religions en tant pesanteurs au vécu des familles
La modernité
Pour comprendre la notion de modernité, nous nous referons à une considération de Marc Luyckx Ghinsi à travers une comparaison qu’il établit entre trois paradigmes en référence avec la modernité dans le tableau ci-dessous :
Tableau n° 2. Comparaison entre les trois paradigmes
Critères | Prémoderne | Moderne postmoderne | Transmoderne |
Pouvoir | Vertical | Vertical / privé | Démocratique |
Patriarcalité | Patriarcal | Patriarcal | Post-patriarcal |
Vérité | Intolérant = vérité | Intolérant=vérité. Pas de vérité | Tolérance |
Sécularité | Blasphème | Libération | Repenser le lien Religion / Société |
Stabilité | oui | Non : Progrès | Non : Réenchantement |
Enchantement | oui | Non : Désenchantement | Oui : Réenchantement |
Clergé | Oui, pouvoir politique et religieux | Experts technocrates économistes | Pas d’intermédiaires |
Science | Seule la théologie + la philosophie | Naissances des sciences | Redéfinition de la science et du sacré |
Sacré | Le sacré est naturel | Le sacré est banni | Redécouverte de sacré de la vie |
Source : (Ghinsi, 2001).
Quelques notions méritent d’être explicitées avant de passer à un commentaire proprement dit : il s’agit de notions disposant de l’emprise sur les mutations opérées ou à opérer dans les familles sous étude. Ce sont les notions de paradigme, du sacré, de la religion et du pouvoir :
Le paradigme
Pour le même auteur, citant Willis Harman, « le paradigme est la base de la manière de percevoir, de penser, de juger et d’agir qui est associé à une vision particulière de la réalité. Le paradigme d’une civilisation détermine la manière dont celle-ci se perçoit, dont elle voit la nature de la réalité, la société, le monde qui l’entoure et le but de l’existence. Les paradigmes déterminent non seulement nos pensées, mais aussi la manière dont nous percevons la vie. Lorsqu’une civilisation quitte un paradigme pour un autre, ce basculement touche au cœur même des vies, …, le paradigme est la paire de lunettes invisibles à travers lesquelles nous regardons, interprétons et comprenons la vie » (Ghinsi, 2001).
D’autres auteurs estiment que la notion de paradigme « décrit les croyances le plus souvent implicites sur le fond desquelles les chercheurs élaborent leurs hypothèses et plus généralement définissent leurs objectifs et leurs méthodes. Pour Weber, l’explication d’un phénomène collectif implique que soient mises en évidence les actions, croyances et attitudes individuelles dont il est la résultante, alors qu’Emile Durkheim, au contraire, pense que les données subjectives sont incompatibles avec la notion même de la science » ( (Boudon, 2012). Le paradigme est un ainsi un modèle de compréhensions et d’explication des phénomènes sociaux.
Le sacré et la religion
- Le sacré
Durkheim, dans Formes élémentaires de la vie religieuse écrites en 1912, aborde la notion du sacré en s’inspirant de W. Roberston Smith qui définissait les choses sacrées comme « celles que les interdits protègent et isolent » ; les choses profanes étant « celles auxquelles ces interdits s’appliquent et qui doivent rester à l’écart de premières » (Izard, 1981).
Ces deux notions impliquent relativement deux autres, celle de l’initié et celle de non-initié. Les initiés sont les personnages qui gèrent les choses sacrées, alors que ces dernières sont interdites aux personnages non-initiés à ces choses dites sacrées. On devient initié à travers un passage et des rites d’initiation qui passent par trois séquences : il y a, primo, dans le but de la purification, la séparation par laquelle la communauté retranche l’individu de son groupe ordinaire, on l’isole dans un endroit inhabituel où il doit apprendre, auprès des initiés un nouveau mode de vie et de comportement ; secundo, l’individu, dans ce retranchement, est soumis, pour son apprentissage et sa socialisation, à divers types de brimades et sévices à travers une phase appelée marginalisation ; et tertio, l’intronisation qui est phase de l’élévation ou l’agrégation de l’initié dans son nouveau statut social.
Les rites d’initiation disposent pour l’initié d’un caractère intégrateur et de responsabilité. L’initié intègre officiellement son groupe social et jouit, désormais, de fonctions et rôles pour lesquels il doit rendre compte. Dès lors, il peut fréquenter les lieux sacrés et faire usage des objets sacrés, tels, par exemple, fréquenter les lieux de sacrifices aux ancêtres ou aux êtres surnaturels et utiliser toutes les choses sacrées destinées à ces célébrations. C’est ainsi que « M. Eliade définit le sacré comme « kratophanie », c’est-à-dire, une révélation d’une puissance dans la nature ou dans un être ». (Wunemberger, 1981).
Jean Jacques Wunemburger pense que « le sentiment du sacré est inséparable de manifestations objectives de puissance » (idem) . En effet, l’initié dispose d’une force et d’une puissance extraordinaire. Dans l’Eglise catholique, par exemple, les prêtres disposent d’un pouvoir de transsubstantiation pendant la célébration eucharistique. Le sacré est ainsi inséparable des spécialistes (prêtres, chantres, faiseurs des lois, devins, sacrificateurs, initiateurs, etc.).
- La religion
De toutes les définitions données à la religion depuis l’antiquité jusqu’à ce jour, on retient que la religion est avant tout un système des croyances, en une ou plusieurs divinités, fondées sur la foi, les dogmes, cultes, rites, et offrandes en vue d’une récompense, immédiate ou non immédiate, de l’Etre à qui ils sont adressés pour un but ultime d’acquérir, à la mort, une vie dans l’au-delà.
Ainsi, « définir ce qu’est la religion revient, dans un premier temps, à considérer que l’activité sociale met en évidence l’existence conjointe de croyances – au surnaturel à des puissances transcendantes, à une divinité unique ou à un ensemble de divinités, etc. et d’actes – de pratiques rituelles – qui visent à établir des relations spécifiques entre les hommes et les êtres ou les pouvoirs extrahumains, ces actes étant fondés sur les croyances et formant avec eux un système sur lequel porte un savoir ordinaire largement partagé » (Izard, 2013).
Lorsque cette croyance est fondée sur une seule divinité, la religion est dite monothéiste, elle sera qualifiée de polythéiste lorsque le croyant fonde ses convictions dans plusieurs divinités. Le polythéisme relève de l’apanage des religions antiques romaines et grecques où chaque chose disposait de sa propre divinité.
A titre d’exemple, Hervé Rousseau a écrit que « dans la Rome antique, il y avait le dieu suprême, Jupiter ou Dieu soleil ; Minerva, déesse de l’intelligence ; Neptune, dieu de la mer et des marins ; Mars, dieu des armées et des arts martiaux ; Bacchus, dieu des brasseurs des vins et des ivrognes ; Vénus, la déesse de la beauté… » (Rousseau, 1979). Dans sa dynamique, la religion a évolué en passant par de considérations polythéistes à une foi monothéiste, mais sans être pour autant unifiée de fait de la pluralité des religions parmi lesquelles on cite le christianisme, le judaïsme, l’Islam, le Bouddhisme, etc.
En République Démocratique du Congo, le Christianisme demeure la religion la plus dominante. Il a été prêché pour la première fois par les colonisateurs belges sous l’initiative du Cardinal Lavigerie. La première mission catholique du Sud-Kivu fut installée à Lusenda en Territoire de Fizi en juin 1901. Cette mission sera abandonnée pour raison de multiples décès dus à la maladie du sommeil qui avait fait 700 victimes en 5 ans. « Dans l’entretemps, la région de Nyangezi avait été explorée par les Pères Auguste Huys et Louis Verstracte. Ils avaient même amorcé les pourparlers avec le Chef Nyangezi qui s’était montré disposé à les accueillir. Les Pères reçurent la colline de Lukananda sur laquelle ils fixèrent une croix avant de retourner à Lusenda. Le 3 septembre 1906, Le Père Joseph Van der Haeghe quitta Lusenda pour Nyangezi : le voyage dura 11 jours. Ses deux confrères, le Père Raphaël Roy et le Frère Lambert, allaient le rejoindre 27 jours plus tard » (Kaboyi, 1992).
La mission catholique fut ainsi installée à Nyangezi en 1906 par le Révérend Père Van der Haeghe. D’autres Eglises (protestantisme, Islam, Kimbanguisme, Témoins de Jéhovah…) s’étaient installées progressivement au Kivu bien après l’installation du christianisme.
Certes, les Eglises ont contribué au développement socioculturel et sanitaire de leurs fidèles en érigeant et en équipant des infrastructures de toutes sortes (écoles, hôpitaux, temples des prières, etc.). Toutefois, on reconnaitra aux églises quelques dérives : les responsables des églises ont perdu le modèle de comportement alors tout se fondait sur eux. Beaucoup d’antivaleurs se remarquent manifestement chez les guides moraux que sont les responsables des églises. En plus, les églises enseignent jusqu’à ce jour que les chrétiens peuvent vivre des miracles s’ils se dévouent à la prière. Au lieu d’encourager l’autoprise en charge par un travail rationnel, certaines églises recommandent un attentisme soutenu par la prière. Paradoxalement, les pasteurs recommandent la prière, mais exigent aux fidèles de leur venir en aide, en multipliant leurs séries d’offrandes. Avec la suppression des subsides qui leur étaient données par leurs maisons-mères occidentales, à ce jour, toutes les églises sont prises en charge par leurs fidèles.
La tradition
Selon Pierre Bonte et Michel Izard, « la tradition se définit, traditionnellement, comme ce qui d’un passé persiste dans le présent où elle est transmise et demeure agissante et acceptée par ceux qui la reçoivent et qui, à leur tour, au fil des générations, la transmettent » (Izard, 2013). La tradition se réfère ainsi aux survivances, c’est-à-dire, des séquelles d’une ancienne coutume qui a disparu, mais qui d’une manière ou d’autre avait constitué un modèle social de comportement. La coutume, elle-même est constituée d’actes répétitifs et qui par leur caractère récurrent et permanent s’imposent à la communauté comme un modèle d’actions, de comportements et de contraintes sociaux. La coutume n’est donc pas innée, elle est apprise. Les traditions se transmettent oralement.
La tradition prend ses racines dans la culture, car même si la culture est dynamique et innovante, elle demeure traditionnelle et fondamentalement liée au passé. C’est pourquoi, il y a parmi les coutumes, les traditions et les cultures celles qui sont rétrogrades et qui enlisent les familles dans des considérations superflues.
Les violences liées au genre, la non scolarisation ou la déscolarisation des filles au profit de leurs frères, la non-participation de la femme à l’héritage, le mariage précoce ou forcé pour certaines filles sont autant d’exemples qui illustrent cette ambivalence entre modernité et traditions au niveau des familles. Bien que le Code de la famille congolais ait tranché toutes ces questions, ces ambivalences persistent au sein de beaucoup de familles aussi bien en milieux ruraux qu’urbains. Certaines formes d’interdits existent chez les femmes.
En effet, au sujet des interdits Bonte et Izard estiment qu’« à la différence des interdits que chaque individu peut s’imposer lui-même, les interdits culturels font l’objet d’un savoir partagé » (Izard, 2013). L’interdit dispose d’une force coercitive de façon que le contrevenant à un interdit s’expose au tabou qui est interdiction formelle soumise à une sanction extraordinaire et irréversible. Il est un tabou, par exemple, pour un fils de connaitre sexuellement sa mère. Il en sera de même pour toute relation sexuelle entre père et fille ou entre frère et sœur. Le tabou sexuel n’est autre que l’inceste, fort décrié et réprimé socialement.
Avec l’avènement du christianisme, les interdits ont sensiblement diminué, mais il en reste encore certains : Chez les barega, il est interdit à la femme de siéger avec les hommes dans le barza ou lubunga. Il n’est pas autorisé à une femme mushi de traire la vache ; de siffler devant un homme ou d’entreprendre une action de grande envergure sans l’avis de son mari. Même compétente, la femme ne peut pas hériter les biens de son père tant qu’il y a un garçon au sein de la famille nucléaire, même si ledit garçon ne dispose de compétences avérées.
L’antivaleur
L’antivaleur est l’antonyme de la valeur qui, pour Guy Rocher, est « une manière d’être qu’on attribue à une individu ou une collectivité et qui rend estimables les êtres auxquelles est attribuée » (Rocher, 1967). En effet, les antivaleurs telles qu’on les vit dans nos milieux ne sont autres que la résultante d’un échec de socialisation sociale qui est un processus par lequel une société transmet ses normes et ses valeurs à ses membres. Une socialisation débouche toujours sur l’un ou l’autre de deux aspects : l’intégration sociale ou la désintégration sociale.
L’intégration sociale est une conformité aux normes. Un individu socialisé et qui se conforme aux prescrits sociaux est un citoyen intégré socialement, c’est un as et un modèle pour les autres membres de la communauté. Par contre, la désintégration sociale est une marque de non-conformité ou de l’imperméabilité aux normes sociales. Une personne désintégrée socialement est un rejet social, un individu hors-groupe et donc, un monstre social pour les autres membres de la communauté. L’intégration sociale des membres d’une collectivité illustrent bien de valeurs au sein de cette dernière alors que la désintégration sociale des membres plonge la collectivité dans un gouffre d’antivaleurs, de perdition, destruction et d’incohésion sociales, etc.
Parmi les antivaleurs les plus manifestes et qui gangrenant et retardent la province dans son développement, on note la mégestion des deniers publics, le détournement, le vol, le mensonge, la non-créativité ou l’initiation des projets sans impacts, l’égoïsme, le tribalisme, l’irresponsabilité de la part des gestionnaires publics, l’élite délinquante, le manque de leadership clairvoyant et dynamique, etc.
La famille évolue ainsi de façon tiraillée, imbriquée irréversiblement dans un engrenage sous forme d’un faisceau et soumise à la fois à des contraintes liées à la modernité, la religion, la tradition et les antivaleurs et d’autres aléas tels que la guerre, l’insécurité, la vie chère, les maladies, les épidémies, chômage…
Dans un tel contexte, la famille doit être mobilisée à plus d’initiatives, de vigilance et d’innovations pour atténuer les conséquences de ces phénomènes. Il s’agit donc d’une résilience adaptative et créatrice tel que l’illustre le schéma ci-dessous.
Fig. 1. Evolution de la famille dans un environnement social hostile
Légende : CAC : Système d’action concret,
CEAC : Centres d’études d’actions de changement
- A : Créativité – Autoévaluation
Approche résolutoire
Dans cette hostilité fondée sur des contraintes inhérentes à la famille et qui pèsent lourdement sur elle, celle-ci devrait-elle se laisser submergée par ces aléas et sombrer ? Non. Il faut une prise de conscience à la fois individuelle et collective qui s’insère dans un Système d’action concret.
Selon Crozier et Friedberg, cités par Luc Van Campenhoudt et Nicolas Marquis, le système d’action concret est un « système de régulation et de relations tant formelles qu’informelles qui caractérise toute organisation, et dans lequel évolue le jeu stratégique des acteurs » (Campenhoudt, 2014). A travers certains principes tels que les principes de la créativité ; de l’autoévaluation permanente ; et de l’unanimité participative rationnelle, la famille peut se construire une base solide non seulement pour résister à ces aléas, mais aussi pour les surmonter et s’orienter vers un avenir plus radieux. A travers le système d’action concret, la famille devra éviter de créer le trou structural, et s’atteler à le combler, s’il existe déjà, au sein des groupes sociaux.
Selon Burt, cité par Marquis et Campenhoudt, « il y a trou structural, dans un réseau, lorsque deux acteurs sont en contact avec un troisième sans être en contact entre eux, le trou structural conférant du pouvoir à ce troisième acteur » (Campenhoudt, 2014). C’est ce qui nous est arrivé en nous fiant à l’Occident tout en ignorant qu’il ne visait pas notre émergence mais plutôt et surtout notre éternelle dépendance vis-à-vis de lui, cette dépendant détruisant nos cultures, pillant nos ressources et amenuisant nos personnalités, notre mémoire collective et notre avenir.
Ainsi, la famille devra-t-elle abandonner les modèles extérieurs importés naïvement et qui tendent à l’infantiliser et la désapproprier de sa dignité naturelle ; éviter toute praxis mimétique visant à déstructurer ou dénaturer les acquis culturels du développement endogène ; et promouvoir à l’interne la praxis créative. Toute tendance extravertie ne sera que nuisible. Il nous faut donc des modèles d’actions et de développement ancrés et autocentrés dans nos cultures, en développant au sein de la famille et dans tous les secteurs, le leadership privilégiant l’agir ensemble dans un système d’action concret.
Conclusion
Pour un acteur praxéologue, tout problème est une opportunité à une solution. Certes, la famille se trouve sous le joug de graves défis dont elle est à la fois victime et auteure. Curieusement, c’est encore d’elle qu’on attend les solutions pour pallier ces défis, car à tous les niveaux, ce sont les membres des familles qui s’engagent à penser, à commettre, à réparer ou à faire perdurer une faute. Dans la recherche de l’équilibre social à travers ces ambivalences où elle patauge, la famille doit mobiliser avec rationalité tous ses capitaux culturel, économique et social pour la recherche et le maintien de la quiétude sociale.
Tout porte à penser que la famille doit se situer dans un contexte de micro-mobilisation qui est, selon MacAdam, McCarthy et Zald, « toute situation en petit groupe dans laquelle des processus d’attribution collective sont combinés avec des formes rudimentaires d’organisation pour produire une mobilisation pour une action collective » (Campenhoudt, 2014). Il faut dissiper toutes les zones d’incertitudes au sein de familles et de communautés et mobiliser toutes les énergies disponibles dans une praxis créatrice, innovante et imbue de valeurs positives et rationnelles.
Tous ces aspects évoqués dans cette étude et leurs corollaires ne constituent pas en eux une fatalité, ce sont des phénomènes inhérents à la vie des familles. En tant que phénomènes, ils disposent d’un caractère éphémère dans la mesure où ils sont rationnellement gérés. Pour arriver à créer et maintenir la quiétude sociale au sein des familles, il conviendra de rejeter des principes liés à l’immobilité, l’immuabilité et l’isolement. Il importera de promouvoir, à travers un système d’action concret, des cadres de concertations, des dialogues sincères et proactifs et grouper les ménages en des centres d’études d’actions de changement qui serviront des cadres d’autoévaluation et d’initiations de nouvelles stratégies d’actions rationalisées.
Bibliographie
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Bakenga, 2021, Regard sur la famille du Sud-Kivu. Repenser les stratégies de stabilité familiale, Edition revue, corrigée et augmentée, Berlin : EUE.
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- Wunemberger, 1981. Le sacré. Que sais-je ? éd. Paris : PUF.
☆ La famille, à travers une ambivalence entre modernité, traditions, religions et antivaleurs au Sud-kivu
* Corresponding author at: Bakenga Shafali Pierre
Received 10 August 2022; Accepted 31 August 2022
Available online 04 September 2022
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